[Edit le 7 janvier : ça y est ; nous avons un nom ! "Nous" avons même une existence légale, puisque le projet d'association s'est concrétisé. Et nous avons un joli site pour expliquer tout ça :
www.langshe.org]
C'est fini ! Bouclé, la traduction de Bipolar Expeditions. En fait, ça l'est depuis début juillet -- j'attendais que celles qui supervisent le projet rentrent de vacances, me fassent leurs dernières remarques, et que je boucle les petits détails (la bibliographie, notamment, qui a la taille d'un chapitre -- pas une partie de plaisir à mettre aux normes françaises).
Mais, aujourd'hui ou demain, tout est bouclé.
La question est déjà : quelle suite ?
* Pour Emily Martin, il y aura un grand colloque sur le handicap psychique et les neurosciences (enfin, quelque chose comme ça), en janvier 2013 ; Emily Martin en personne sera présente. C'est aussi le moment où le livre sortira. Edit : présentation du livre à 19h le mardi 8 janvier à la librairie le Comptoir des Presses d'Université (rue Claude Bernard), en présence de l'auteure ; workshop "new perspectives in anthropology on mental health", avec Emily Martin et plein de pointures, le 9 janvier à la MSSH, 236bis rue de Tolbiac.
* Pour la traduction : je prépare depuis longtemps un projet d'association, autour de la traduction des sciences humaines, quelque chose comme ça. Aujourd'hui, la situation est entièrement entre les mains de maisons d'édition (et, éventuellement, de quelques chercheurs), qui ont une volonté particulière d'ouverture ou de diffusion ; il y a un problème énorme de financement ; et on recrute ensuite des traducteurs comme on peut (des professionnels ou, comme moi, des amateurs.) Ceux qui font cela font un travail indispensable, mais je crois qu'il y a la place pour un fonctionnement un peu différent.
J'expliquerai dans une prochaine note la "philosophie" de l'association. Mais il y a une question beaucoup, beaucoup plus urgente, qui est : quel nom on pourrait prendre ?
Plusieurs débuts de remarques à ce propos :
* Il faudrait un nom qui fasse un peu intellectuel, à mon avis, pour ; par exemple un truc en référence à la tour de Babel, à Marco Polo ou à, euh... . Ou encore un acronyme qui évoquerait le mot "polyglotte", avec sa racine grecque. Plutôt qu'un truc qui fasse start up ou branché, genre "traduxos", "transLatX", ou "6-ens hum'N" ; ce n'est pas que j'ai quelque chose contre les suffixes en -xos ou les apostrophes dans les noms, mais c'est pour être dans le ton du genre de livres qu'on voudrait traduire. Hum... Je ne sais pas trop, en fait.
* J'aime bien les acronymes, si ça fait un mot un peu joli. Je pourrais garder NdT, mais je vois pas bien de quoi ça pourrait être l'acronyme... Surtout le N. (Le D : diffuser ? le T : Traduire ? Mais l'idée de traduction est déjà dans le terme NdT lui-même, donc on pourrait trouver autre chose pour le T).
* "Traduire" se dit en chinois fan yi ; pas non plus très facile pour un acronyme.
* Si je faisais un logiciel pour aider à traduire sur les sites de discussion en ligne, je l'appellerais "Ma langue au chat". Et si quelqu'un voulait ouvrir un salon de beauté qui fasse aussi atelier de discussions en langues étrangères (un bon concept, vu que les coiffeurs aiment tellement parler), je lui conseillerais "Gloss'Hair". Bon... Nous voilà bien avancé.
Au secours ! Si un des trois lecteurs attitrés de ce blog (ou quelqu'un d'autre) a une idée....
^_^
dimanche 2 septembre 2012
mardi 12 juin 2012
The Edge
Passage redoutable dans le dernier chapitre, qui est probablement le deuxième plus difficile de l'ensemble du livre : tout une section du chapitre intitulée "the Edge".
Le mot "edge" a en anglais une pluralité de significations qui se distribuent dans des mots très différents en français, donc je ne vois pas comment restituer au lecteur la totalité des occurrences du même mot qu'on trouve dans le texte original ; en outre, certains sens sont déjà difficiles à rendre par eux-mêmes.
Je fais juste ici la liste des occurrences du mot dans ce passage, pour y voir plus clair.
D'abord le titre de cette section, "The Edge" ;
Puis, dans le texte :
Et l'expression, dans la dernière phrase du passage et du chapitre (et du livre, à part la conclusion), "Living on the edge of death".
Il y a même une occurrence de "double-edged sword", mais je ne la compte pas.
(Il s'agit donc de citations d'Emily Martin, Bipolar expeditions, p. 263 à 268)
Parmi les suggestions qu'on m'a faites, ou les idées que j'ai eues (mais donc aucune ne convient pour la totalité des cas) : la ligne de crête, la brêche, le précipice ou le gouffre (au bord du gouffre etc), ... pour tout ce qui concerne "dancing over the edge", "to look over the edge" etc. (Mais aussi : le fil du rasoir, sur le fil, en équilibre... pour "dancing over the edge").
Pour "he had lost his edge", qui est le problème central, quelque chose comme "il avait perdu son mordant", "son tranchant", "sa différence", ... ?
Enfin, parmi les possibilités que j'ai pour restituer la totalité des sens : 1. faire une note du traducteur (mais je ne vois pas bien comment je formulerais ça) ; 2. mettre à chaque fois le mot ou l'expression en anglais à côté de la traduction (mais mon éditrice n'aime pas ça, et c'est vrai que c'est un peu lourd) ; 3. demander directement à Emily Martin à quel point elle tient à ce que l'on restitue en français cette multiplicité de sens sous une même antienne (pour l'instant je crois qu'il faut que je fasse autrement, mais peut-être je pourrai lui poser quelques questions en bloc quand tout sera fini ?)
(Illustration : 1. capture d'image google "on the edge", visions assez poétiques du vide ; 2. capture d'image google " 'lost his edge' OR 'lost her edge' " , qui renvoie à l'univers du sport et de la compétition ; je remarque en passant que, malgré mes efforts pour demander à la fois le féminin et le masculin, google ne me donne (en page 1 du moins) que des exemples de "lost his edge", quel que soit l'ordre dans lequel je place les deux expressions. Ce qui va très bien avec le propos d'Emily Martin : avec la compétition sur le marché, avec la manie de la maniaco-dépression et avec "the edge", la petite différence en plus que cela vous donne, nous sommes en plein dans un monde masculin).
Le mot "edge" a en anglais une pluralité de significations qui se distribuent dans des mots très différents en français, donc je ne vois pas comment restituer au lecteur la totalité des occurrences du même mot qu'on trouve dans le texte original ; en outre, certains sens sont déjà difficiles à rendre par eux-mêmes.
Je fais juste ici la liste des occurrences du mot dans ce passage, pour y voir plus clair.
D'abord le titre de cette section, "The Edge" ;
Puis, dans le texte :
One marketing campaign for a manic depression drug, a form of sustained-release lithium, placed depression over an "edge." "Dancing on the Edge: An Intimate Look at a Bipolar Life," was a display from the 2000 APA exhibit for Scios.
Upon treatment, [Tim, un jeune homme brillant qui souffre de maniaco-dépression] felt the "tedious grasp of normalcy" and experienced agitation and anger that he had lost his edge (...)
"Dancing on the Edge" is gripping because it brings together the dancer's lively beauty with his position on the edge of death.
For the manic male entrepreneur or CEO, the edge might lie near the specter of terrible loss.
Although the mania of manic depression and the mania of manic markets are certainly not the same thing, they do both operate on an edge. We might think of the "edge" as a "break" in the smooth public presentation of manic depression
In an ethereal but numbed state, a person is less likely to look over the edge (...)
There are some signs that "the edge" may now be poised above a deeper abyss.
The person with a manic leadership style and the person with manic depression both look over an edge into violence (...)
Et l'expression, dans la dernière phrase du passage et du chapitre (et du livre, à part la conclusion), "Living on the edge of death".
Il y a même une occurrence de "double-edged sword", mais je ne la compte pas.
(Il s'agit donc de citations d'Emily Martin, Bipolar expeditions, p. 263 à 268)
Parmi les suggestions qu'on m'a faites, ou les idées que j'ai eues (mais donc aucune ne convient pour la totalité des cas) : la ligne de crête, la brêche, le précipice ou le gouffre (au bord du gouffre etc), ... pour tout ce qui concerne "dancing over the edge", "to look over the edge" etc. (Mais aussi : le fil du rasoir, sur le fil, en équilibre... pour "dancing over the edge").
Pour "he had lost his edge", qui est le problème central, quelque chose comme "il avait perdu son mordant", "son tranchant", "sa différence", ... ?
Enfin, parmi les possibilités que j'ai pour restituer la totalité des sens : 1. faire une note du traducteur (mais je ne vois pas bien comment je formulerais ça) ; 2. mettre à chaque fois le mot ou l'expression en anglais à côté de la traduction (mais mon éditrice n'aime pas ça, et c'est vrai que c'est un peu lourd) ; 3. demander directement à Emily Martin à quel point elle tient à ce que l'on restitue en français cette multiplicité de sens sous une même antienne (pour l'instant je crois qu'il faut que je fasse autrement, mais peut-être je pourrai lui poser quelques questions en bloc quand tout sera fini ?)
(Illustration : 1. capture d'image google "on the edge", visions assez poétiques du vide ; 2. capture d'image google " 'lost his edge' OR 'lost her edge' " , qui renvoie à l'univers du sport et de la compétition ; je remarque en passant que, malgré mes efforts pour demander à la fois le féminin et le masculin, google ne me donne (en page 1 du moins) que des exemples de "lost his edge", quel que soit l'ordre dans lequel je place les deux expressions. Ce qui va très bien avec le propos d'Emily Martin : avec la compétition sur le marché, avec la manie de la maniaco-dépression et avec "the edge", la petite différence en plus que cela vous donne, nous sommes en plein dans un monde masculin).
samedi 2 juin 2012
Fear "as a wedge" (qu'on ne soulève pas "un voile" avec un "levier")
Encore une note anecdotique, mais c'est un truc qui m'a cassé les pieds aujourd'hui... Plutôt, c'est tout le passage que je traduis qui me casse les pieds. A certains moments, l'écriture devient beaucoup plus dense, ou beaucoup plus obscure, ou plus littéraire, ou plus contournée qu'à d'autres, et soudain on n'avance plus.
(Par ex., dans la même page, il y avait ça à traduire :
Mais voici le passage que je voulais discuter : il s'agit simplement d'une métaphore difficile à traduire en français (toujours à propos de la perception variable des marchés) :
Mais, à la réflexion, on ne soulève pas un voile avec un levier non plus.
(J'attends d'avoir au moins une suggestion en commentaire pour proposer ma traduction provisoire, pour ne pas influencer mon éventuel lecteur).
(Par ex., dans la même page, il y avait ça à traduire :
This suggests that today Fortuna -symbol of eighteenth-century market instability- might better be called "Fortunus": powerful masculine figures enact the attributes of the market rather than keeping the market separate and under firm control.C'est moi ou la construction "enact... rather than keeping" est bizarre ? En tout cas, ça donne le thème du moment : la perception du marché, ou des marchés, comme féminins ou masculins selon les époques - créatures capricieuses ou lieu de luttes entre puissantes figures masculines.)
Mais voici le passage que je voulais discuter : il s'agit simplement d'une métaphore difficile à traduire en français (toujours à propos de la perception variable des marchés) :
Fear, perhaps from feeling the consequences of markets unleashed from control, accompanies these shifting frameworks. Perhaps fear could serve as a wedge that would allow us to see things we normally repress."A wedge", c'est apparemment un "coin" (comme on en utilise pour faire éclater le bois ; pour ce que je sais de la manière dont on fait éclater le bois...) Comment rendre "a wedge that would allow us to see things we normally repress" ? J'ai pensé à "pourrait servir comme un levier" pour remplacer cette histoire de coin qui sonne un peu mal en français ; et à "lever un coin du voile sur ce que nous réprimons d'habitude" pour la suite ; Non pas "voir", comme le suggèrait la phrase anglaise, parce qu'il me semblait qu'un levier pouvait plus servir à "soulever" qu'à "voir".
Mais, à la réflexion, on ne soulève pas un voile avec un levier non plus.
(J'attends d'avoir au moins une suggestion en commentaire pour proposer ma traduction provisoire, pour ne pas influencer mon éventuel lecteur).
lundi 21 mai 2012
Flat affect
Comment traduire "flat affect", un symptôme de la schizophrénie ? La question m'avait déjà intéressé quand l'expression est apparue au chapitre 1. A l'époque, j'avais fait un exposé, dans un séminaire sur la traduction, sur la question de qui a la compétence pour traduire, où je m'étais appuyé sur cette expression pour souligner que, même au sein de la communauté des psychiatres, il n'y a pas de traduction stable de tous les termes techniques. (Il est vrai que c'est un cas relativement exceptionnel, pour ce que j'ai pu voir). Je me référais à la bible de la psychiatrie, le livre fascinant (et controversé) qui a façonné la psychiatrie (et sans doute l'esprit humain) dans la deuxième moitié du XXè siècle, le "DSM IV-tr" (Diagnostic and statistical manual of mental disorders).
Dans la version française, le terme n'est en effet jamais traduit deux fois pareil : "affect abrasé" (p.366), "émoussement affect" (!) (p. 355), "abrasion de l'affect" (p. 369), "émoussement affectif" (p.41).
Le texte d'Emily Martin (chapitre 1) :
What psychiatrists call "flat affect"-lacking emotion-in schizophrenia actually turns out to be a complex state filled with strong feeling. Despite appearing outwardly emotionally flat, when asked, people with schizophrenia report strong inner feelings. (p. 51)
Ce que les psychiatres appellent « émoussement affectif » – l'absence d'émotion – dans la schizophrénie s'avère en fait être un état complexe rempli de sentiments forts. Même si, de l'extérieur, leurs émotions peuvent paraître « émoussées », les personnes atteintes de schizophrénie, quand on leur pose la question, font part de forts sentiments intérieurs.
Ce qu'elle reprend quelques lignes plus loin :
Contrary to this common perception, accounts of patients attest that "flat affect" does not entail lack of feeling.60 Instead of emotion, their interior landscape is often filled with free-floating tension, fear, and vague anxiety. (p. 51).
Au contraire, les descriptions données par les patients attestent qu’« émoussement affectif » ne signifie pas absence de sentiments. Au lieu d'émotions, leur paysage intérieur est souvent rempli de tensions flottantes, d'une peur et d'une angoisse diffuses.*
Au chapitre 8, que je viens de finir, les choses se compliquent, puisque l'auteure en tire une sorte de métaphore de notre époque :
Yet, as I mentioned in the introduction, people in the late twentieth and twenty-first centuries are also profoundly anxious and hence characteristically preoccupied with emotionally flat conditions - detachment and alienation. The flattening and deadening of the emotions is a pervasive theme in art, architecture, film, and daily life.' In other words, at present, emotion is both flattened and incited at the same time. (p. 197)Ce que j'ai traduit par :
Pourtant, comme je l’ai mentionné en introduction, une anxiété profonde caractérise la fin du xxe et le début du xxie siècle, marqués par la peur d’une érosion générale des émotions – dans le détachement ou l’aliénation. On retrouve partout ce thème d’une érosion et d’une anesthésie des sentiments, dans l’art, dans l’architecture, au cinéma ou dans la vie quotidienne.Ce "flat" est bien sûr un écho de celui du chapitre 1, et elle revient sur la schizophrénie qq pages plus loin :
It follows logically that the socially engaged character of manic depression, its "evenly balanced swimming in comfort for one's self and the world" or its eliciting of a high "empathic index," is linked to its emotionality. In contrast, the socially removed character of schizophrenia would seem to be logically linked to its emotional flatness. (p. 200)
Il s’ensuit logiquement que l’engagement dans les rapports sociaux, la « sensation permanente de bien-être qu’ils puisent en eux-mêmes et dans le monde » ou la capacité à soulever un « indice d’empathie » élevé caractérisent la maniaco-dépression et sont liés à l’émotivité qui marque cette affection. À l’inverse, il peut sembler logique de lier le caractère socialement en retrait de la schizophrénie à son absence d’émotions.(A la limite, je pourrais mettre ici, entre guillemets, "abrasement émotionnel", mais pas utiliser "érosion" - qui n'est pas du tout dans le DSM et qui n'est pas joli non plus ici.)
Il me semble que mes traductions ici passent bien en français, mais on perd le lien entre les différentes occurrences de "flat". Je vois deux idées : soit mettre à chaque fois l'anglais entre parenthèse ; soit mettre à la dernière occurrence une note du traducteur, et regrouper dedans les différentes traductions que j'ai proposé au fil de l'ouvrage, en faisant valoir qu'il n'y a pas vraiment de traduction officielle qui fonctionne bien en français. (C'est un des termes que je dois vérifier cependant en demandant à un psychiatre ; il est possible que les choses aient évolué depuis la traduction du DSM IV-tr).
* (Note : Emily Martin se réfère ici au travail de Louis Sass ; Louis Sass s'appuie lui-même sur le témoignage passionnant, que j'ai découvert à cette occasion, de "Renée", une schizophrène, même si le livre est publié par sa psychanalyste. Marguerite Sechehaye, Journal d'une schizophrène, que je recommande vivement.)
vendredi 18 mai 2012
Wired
(NdT : une autre mini note, sur un mini problème. C'est juste trop dur pour moi de prendre le temps de mettre au propre les réflexions un peu plus élaborées...)
Une difficulté inhabituelle : un problème de langue (on ne dit pas de cette manière en français) se superpose à un problème de science, de biologie pour être exact. Que veut dire exactement le psychiatre qu'Emily Martin cite dans le passage suivant, par "wired" ?
Bon, cette fois je donne ma réponse tout de suite, mais vous avez le droit de ne pas être d'accord (et de le dire !)
générale d''un de mes deux lecteurs, je remets des images ! Une capture d'image, en recherchant sur google "wiring of the brain" :
Et une de "organisation du système nerveux central". A part que c'est un peu moins psychédélique dans la version française, il y a quand même un air de famille, non ?
[Edit : après les protestations que j'ai reçues, je teste quelque chose d'autre -- "biologiquement ancrée dans les connexions du cerveau" (?) et "l'organisation du cerveau", respectivement.. Capture d'écran sur google image ci-dessous pour "connexions du cerveau". Cela semble mieux coller ; après, au niveau de la langue, ça ne me semble pas génial mais ça passe, non ?]
Une difficulté inhabituelle : un problème de langue (on ne dit pas de cette manière en français) se superpose à un problème de science, de biologie pour être exact. Que veut dire exactement le psychiatre qu'Emily Martin cite dans le passage suivant, par "wired" ?
In his American Mania: When More Is Not Enough, Peter Whybrow sees a darker side of American mania. He thinks the biologically wired drive for pleasure and success that fuels mania makes people neglect more satisfying relationships with other people. [Bipolar Expeditions, p. 228]Elle remet ça p. 229, où elle compare l'approche de Whybrow à celle de deux autres psychiatres :
These three books (...) see exuberance, hypomania, and mania as states that existed in the same form and manifested the same behaviors in earlier historical periods as they do today. They make this claim plausible by attaching exuberance, hypomania, and mania to material processes that would be unchanged over time: the forces of selection (Jamison), the operation of genes (Gartner), or the wiring of the brain (Whybrow)....
Bon, cette fois je donne ma réponse tout de suite, mais vous avez le droit de ne pas être d'accord (et de le dire !)
Dans American Mania: When More Is Not Enough, Peter Whybrow voit un côté plus sombre à la manie américaine. Il pense que la poursuite du plaisir et du succès qui alimente la manie, biologiquement ancrée dans le système nerveux central, pousse les gens à négliger la recherche d'une plus grande satisfaction dans les relations avec les autres
Ces trois livres voient (...) l'exubérance, hypomanie et la manie comme des états qui existaient sous la même forme et se manifestaient à travers les mêmes comportements aujourd'hui et dans des périodes historiques antérieures. Ils rendent cette affirmation plausible en liant l'exubérance, l'hypomanie et la manie à des processus matériels qui resteraient inchangés au fil du temps: les forces de la sélection (Jamison), le fonctionnement des gènes (Gartner), ou l'organisation du système nerveux central (Whybrow).Et pour faire plaisir, à la demande
Et une de "organisation du système nerveux central". A part que c'est un peu moins psychédélique dans la version française, il y a quand même un air de famille, non ?
[Edit : après les protestations que j'ai reçues, je teste quelque chose d'autre -- "biologiquement ancrée dans les connexions du cerveau" (?) et "l'organisation du cerveau", respectivement.. Capture d'écran sur google image ci-dessous pour "connexions du cerveau". Cela semble mieux coller ; après, au niveau de la langue, ça ne me semble pas génial mais ça passe, non ?]
mercredi 9 mai 2012
Pourquoi "Google traduction" est (quand même) utile
(NdT : une amie m'a dit que mes posts étaient trop longs. J'en ai plus à dire au sujet de celui-ci, mais j'en garde donc une partie sous le coude pour un futur post... ou pas, parce qu'il y des tonnes d'autres choses dont je voudrais parler aussi. Toujours cette frustration de ne pas avoir le temps de rédiger le quart des trucs que je voudrais partager sur ce blog).
Google : un nom qui fait à peu près consensus dans la détestation, dans le monde universitaire français. En particulier quand il s'agit de la traduction ; j'ai vu un séminaire sur la traduction en sciences sociales où le type qui présentait utilisait "google" à peu près comme synonyme du "Mal incarné", sans sentir le besoin d'expliquer le moins du monde pourquoi.
Barbara Cassin, qui a retiré un immense prestige du Vocabulaire européen des philosophies qu'elle a dirigé (qui est un ouvrage sur la traduction des notions philosophiques), a même rédigé un petit livre contre Google.
Bref, tout ça pour dire que j'utilise très abondamment Google dans mon travail, en particulier dans mon travail de traduction, comme on peut le voir dans presque tous les posts de ce blog. Pire : j'utilise (aussi) google trad. En gros, mon expérience c'est que, bien sûr, les traductions proposées sont strictement n'importe quoi, mais néanmoins il y a plein de mots qu'on n'a pas besoin de re-taper. C'est moins fatigant et plus rapide de reprendre, même de A à Z, la traduction que propose google trad que d'écrire tout.
J'espère que je pourrais revenir là-dessus. (et aussi sur les problèmes que j'ai, moi aussi, avec Google, mais qui sont plutôt liés à Google books, qui est à la fois formidable et très décevant).
Aujourd'hui, je voudrais juste parler d'un truc secondaire, mais qui existe : des points précis de traduction où google trad (ci-dessous GT) est très performant -- des difficultés qui représentent éventuellement des pièges pour l'humain mais qu'il déjoue tout de suite.
(Note : à une période, je commençais par enregistrer une traduction "spontanée" que je proposais, puis je reprenais par écrit en corrigeant la version de GT, avant de reprendre le texte plusieurs fois. Plusieurs des ex. que je note ci-dessous datent de cette époque, où je pouvais comparer ma trad. "spontanée" et celle de GT. Je saute cette étape à présent.)
- Robin : j'avais été voir le dictionnaire qui me donnait "rouge-gorge" ; du coup, surprise quand je vois que Google Trad a traduit par "merle"... Après vérification, c'est un américanisme (donc la bonne traduction ici).
- "The mood-steadying effects" (of lithium) : j'avais pensé à "renforcement de l'humeur", ce qui ne voulait rien dire ; GT a proposé "les effets de l'humeur stabilisateur de lithium ", ce qui ne veut rien dire non plus mais me donne néanmoins le bon terme : stabiliser, stabilisateur, stabilisation.
- Klonopin (un médicament) qui a été traduit par "Rivotril" (le nom français ; mais des fois google laisse Klonopin...) En fait, maintenant je vais voir systématiquement pour chaque médicament, qui ont des noms différents en français environ une fois sur quatre.
- p. 193, "there seems to be one universal set of mood categories" : "De plus en plus, il semble y avoir un seul ensemble universel de catégories d'humeur..." (GT a ajouté "seul", à raison, c'était tout à fait le sens dans le contexte, mais je ne l'avais pas fait spontanément).
- Disease-free periods : j'ai traduit spontanément par une périphrase ("périodes où les patients n'étaient pas malades"), mais il y a un terme simple en français, que Google m'a soufflé (je vous laisse trouver lequel).
- A blank chart : un tableau blanc ? (Je n'y ai pas vu l'ombre d'un problème). Mais il s'agit de "tableaux de l'humeur" que tiennent les patients pas encore remplis -- un tableau vierge, donc, comme me le souffle GT à raison.
- (Walking through my neighborhood) "in lower Manhattan", que google a eu la bonne idée de traduire par "... au sud de Manhattan" (je ne sais pas du tout comment j'aurais traduit sinon).
J'ai d'autres exemples plus complexes... pour une autre fois, peut-être.
lundi 30 avril 2012
Immédiateté, et évocation indirecte
(NdT. C'est un peu anecdotique, mais quelque chose dans la traduction de cette phrase m'a semblé intéressant ; en tout cas ça m'a fait réfléchir.)
Emily Martin, p. 214 : elle vient de citer Les Mots pour le dire, roman autobiographique d'un auteur français, Marie Cardinal ; ça a l'air bien, je le mets sur la liste des livres que j'aimerais lire si j'ai l'occasion ou le temps. Il s'agit du moment où l'auteure bascule pour la première fois dans la folie, en écoutant un morceau d'Amstrong. Puis Emily Martin cite le commentaire sur ce passage d'un autre écrivain, Toni Morrison :
Toni Morrison writes that she remembers smiling when reading this passage, in part because Cardinal's recollection of the music had such immediacy, and "partly because of what leaped into my mind : what on earth was Louie* playing that night? "
Faut-il traduire "Toni Morrison writes that she remembers smiling..." par "Toni Morrison écrit qu'elle se souvient d'avoir sourit..." ?
Comme ça me paraît lourd, j'ai d'abord traduit par "Toni Morrison se souvient d'avoir souri en lisant..." Il y avait juste quelque chose qui me gênait diffusément.
Par ailleurs (mais il y a un lien, comme on va le voir), comment traduire "immediacy" ?
Or, voici le passage en question de Toni Morrison, qui est traduit en français (curieusement, dans l'édition française de 1993 que je consulte, le titre est en anglais sur la couverture, Playing in the dark, mais est ensuite traduit à l'intérieur du livre, dès la page 1 : Jouer dans le noir), p. 9 :
Je me souviens d'avoir souri en lisant ces lignes, en partie par admiration pour un souvenir si net, si présent, de la musique, en partie à cause de ce qui a surgi dans mon esprit : que diable Louis jouait-il donc ce soir-là ?"(Ce qui est bizarre dans ma traduction ci-dessus devient plus clair je crois : le passage du discours direct -- "Je me souviens d'avoir..." -- au discours indirect : "Elle écrit qu'elle se souvient d'avoir..."demande en réalité une plus grande transformation de l'original. Du moins en français ; j'ignore comment c'est ressenti en anglais).
Encore une fois, il me manque un peu les catégories grammaticales pour le dire. Mais il me semble que le problème vient de ce que, dans la phrase de Morrison, l'expression "je me souviens" joue un rôle équivalent à celui du verbe introductif pour passer au discours indirect : "Toni Morrison écrit que..." ; c'est-à-dire qu'il s'agit d'un commentaire à un niveau supérieur qui énonce un fait (un souvenir). Je crois qu'on peut juste dire, sans changer aucunement le sens : "Toni Morrison écrit qu'elle avait souri en lisant..."
De manière plus secondaire, pour "immediacy", le problème est pour ainsi dire inversé. Il me semble qu'on peut dire que la description de Morrison -- "un souvenir si net, si présent" -- est du discours direct ; que la réécriture par E.Martin, qui résume ça avec une notion plus abstraite, "immediacy", est totalement justifiée pour du discours indirect. Mais comme, en français, "immédiateté" ne passe pas, j'ai envie d'utiliser une forme intermédiaire :
1) comme Martin, utiliser des substantifs qui collent mieux avec le discours indirect, mais
2) en utiliser deux (et en cela, je m'éloigne du texte que je traduis mais je ne trahirais pas l'original de Morrison) pour restituer une idée qu'un seul mot saisi mal en français. Cela donnerait :
Toni Morrison écrit qu'elle avait sourit en lisant ce passage, en partie à cause de l'évocation vivante et fraîche par Cardinal de la musique, et "en partie à cause de ce qui a surgi dans [son] esprit : que diable Louis jouait-il ce soir-là ?"
* Addendum : pourquoi "Louie" dans la version anglaise de la citation de Morrison ? A cause de l'influence... du français. Voilà ce que dit Wikipedia : "Louis Daniel Armstrong (prononcer « Louis » à la française, que lui-même écrivait Louie par hypercorrection)..."
samedi 28 avril 2012
contrived to
Après plusieurs pages "faciles" à traduire, je tombe sur un nouveau noeud de problèmes : Emily Martin essaie d'établir, à travers des exemples tirés de l'histoire de l'art notamment, les liens entre la maniaco-dépression et les catégories de gender et de race. Or, en français l'usage de ces deux mots -- genre, et surtout "race" -- n'est pas le même du tout, et les mots restent difficiles d'usage, même si le sens anglais s'est banalisé dans les sciences sociales.
(Mais par ex., il me semble que je suis obligé de traduire, p. 211, "manic-depressive illness ... is equally prevalent across gender[s]" par [dans le cas de] "la maladie maniaco-dépressive (...) la prévalence est la même pour les deux sexes» ; ici je ne crois pas qu'on puisse garder "genre" en français.)
En outre, les catégories esthétiques, qui sont profondément liées au langage et à la culture, varient également. Et finalement je tombe sur ce mot, "contrived", qui ne devrait pas poser de problèmes, mais qui me laisse perplexe. p. 213 :
Race and Manic Depression(La fin est une citation de Joel Pfister, un texte qui n'est évidemment pas traduit en français.)
(...)
In the history of American expressive culture of the early twentieth century, "the primitive" marked an out-of-control and uninhibited energy culturally associated with the female, on the one hand, and the African American, on the other. Aesthetic primitivism in the 1920s could rest on "a stereotype of blackness contrived to erect white subjective potency."
Je passe sur la traduction de "American expressive culture", "Aesthetic primitivism", "blackness", "white subjective potency" sans parler du titre, "race and manic depression" (mais les suggestions sont les bienvenues...) ; pour me concentrer sur ce petit mot tout bête, "contrived to".
WR dit : "parvenir à, trouver moyen de". Mais il me semble en fait qu'il n'y a pas d'équivalent en français. Deux-trois phrases que j'ai trouvées sur le net et qui utilisaient l'expression :
- (Un titre d'article, bien étrange) "Neil Lennon: Celtic have never contrived to claim there is a conspiracy against the club"
- (Une phrase où ça va, c'est clair) : This is all I know, but I know not, count, how you contrived to inspire so much respect in the bandits of Rome who ordinarily have so little respect for anything.
- (Pas clair du tout, mais ce n'est peut-être pas dû à "contrived"...) : Mrs. Bennet, through the assistance of servants, contrived to have the earliest tidings of it, that the period of anxiety and fretfulness on her side might be as long as it could.
...
(Les derniers exemples sont pris ici, un site qui semble intéressant, même si la définition qu'ils donnent du mot "contrived" est contredite par les 3/4 des exemples qu'ils donnent)
Je laisse les éventuels lecteurs réfléchir un peu, je mettrai sans doute ma traduction en commentaire.
mardi 17 avril 2012
Quand on doit infléchir la fonction des mots par rapport aux lecteurs
(NdT. Frustration... J'ai plein de notes en réserve mais pas le temps de les mettre en forme, alors même que c'est ce qui m'intéresse le plus, maintenant que la traduction a pris un côté un peu répétitif. Cette fois, c'est un truc un peu anecdotique, mais je préfère une petite note que rien. Surtout que ça se révèle assez long à expliquer finalement, comme toujours).
Un rebondissement à propos d'une précédente note de blog (ma traduction de borrowed interest) ; je rappelle brièvement le texte et la traduction que je proposais :
Later, Jack Levy, medical director of an advertising agency, explained the general principle behind the effort: borrowed interest. (...) "An example of borrowed interest would be using Cal Ripkin in an ad for a beta blocker. Cal doesn't take the drug, but we borrow his long duration and hope it sticks to the drug." (p. 154)
Qui devient :
Plus tard, le directeur médical d’une agence de publicité, Jack Levy, m’expliqua le principe général derrière cette démarche : capter l’attention par une voie détournée. (...) « Un exemple de voie détournée serait d’utiliser [le joueur de base-ball] Cal Ripkin dans une publicité pour un bêta-bloquant. Cal ne prend pas ce médicament, mais nous essayons de capter l’image de sa longévité exceptionnelle en espérant qu’elle soit associée au médicament. »
J'ai un petit échange de mails à ce propos avec Jérôme, dont j'apprécie toujours le point de vue rigoureux et souvent différent du mien. Il m'écrit :
Ta traduction me convient, à un détail hors sujet près: il me semble que "longévité" seul traduit déjà "long duration", et qu'en tout cas "exceptionnel" va beaucoup plus loin.
C'est vrai : pourquoi je me suis senti obligé d'ajouter "exceptionnelle" ?
Il faut remarquer que j'ajoute aussi entre crochet "[le joueur de base-ball]". Après réflexion, je crois que les deux ajouts vont dans le même sens, à savoir : le lecteur américain connaît Cal Ripkin, il sait que c'est un joueur de baseball dont la carrière a connu une exceptionnelle longévité, suffisante pour en faire un symbole intéressant pour une publicité.
Mais le lecteur français ordinaire ignorera tout cela. Une possibilité, un peu lourde, à laquelle j'ai recourt à d'autres endroits du texte est de mettre une note de bas de page. Une autre possibilité est d'ajouter quelques légères touches, qui pourraient se trouver dans le texte original. Il me manque des termes techniques grammaticaux pour expliquer cela, mais la fonction de la phrase change subtilement.
En gros, "Cal Ripkin" et " his long duration " ont pour fonction de renvoyer à une réalité extérieure ; alors que "[le joueur de base-ball] Cal Ripkin" et "sa longévité exceptionnelle" ont pour fonction d'informer le lecteur.
Dans le texte anglais original (qui est une citation orale), ce dont il s'agit est familier à l'interlocutrice (et aux lecteurs), qui combleront les trous tout seul. Dans le texte français, le lecteur l'ignore sûrement, donc on l'informe : c'est un joueur de base-ball et la durée de sa carrière a été exceptionnelle.
(Ce qui est discutable, c'est qu'on pourrait dire que "long duration" a une fonction informative : ça a été long. Je ne le pense pas. Je crois que ça renvoie vraiment à une information implicite ; de même que si j'écris juste en français "nous essayons de capter l'image de sa longévité", cela renvoie à une information implicite : quelle longévité ? Dire qu'elle a été "exceptionnelle" semble boucher ce manque, même si en un sens on n'en sait pas plus. Mais comme je l'ai dit, c'est subtil et il me manque des termes techniques pour expliquer cela. Y a-t-il un grammairien pour nous aider ?)
lundi 2 avril 2012
Parasitage
Petit coup de gueule vite fait.
Je vais sur google, mon outil de travail numéro 1, et je tape "to point beyond", pour trouver des occurrences qui me permettent de m'assurer du sens de cette expression (je n'écris pas "point beyond", pour avoir la forme verbale et pas "it is a point beyond which...")
Et voilà que, bonne surprise, je découvre qu'il y a, sur cette expression, une page sur WR (word reference), qui est un bon site que j'utilise énormément, malgré les défauts habituels des outils participatifs (et d'autres trucs, comme mediadico, dont je me méfie beaucoup plus). C'est même sous une forme plus précise que celle que je propose, "to point beyond sth" :
Ce sont les premières choses qui sortent sur google ; c'est décevant de ne guère trouver tout de suite les textes qui utilisent cette expression, mais bien sûr je vais déjà voir ces références. Et là, j'ai ça :
Alors de deux choses l'une. Soit c'est une volonté délibérée de ces outils pour parasiter le travail (parce qu'ils fonctionnent à la pub ; il y a aussi une page du même acabit de reverso, un autre site bidon), soit c'est un effet pervers de la technique de référencement de google. En tout cas c'est du grand n'importe quoi. Pollution des moteurs de recherche.
NdT.
Hung up out of reach (quand l'échelle est mise un peu trop haute pour moi)
(NdT. Une semaine et demie sans note... zut et zut. Au moment où je traduis le chapitre 7, portant sur la pratique qui consiste à tenir le journal de ses états intérieurs dans un effort de gestion de soi, je m'avère moi-même incapable de la discipline que demande un blog.
En fait j'ai plusieurs notes dans mes tiroirs, des trucs que je consigne au brouillon au moment où la question se pose dans mon travail ; mais je manque de temps pour finaliser l'idée dans une note en bonne et due forme.
Mais là, il n'y a pas trop de mise en forme à faire, et d'ailleurs il n'y a pas trop d'idée non plus. Le vide total. Ce qui, en un sens, est bien pratique.)
Cela arrive de temps en temps aussi : quand je ne comprends strictement rien à une phrase du texte.
Emily Martin a exhumé un "thermomètre moral" imaginé au XIXe siècle - un graphique où l'on consigne l'évolution de ses humeurs - qui préfigure les "tableaux des humeurs" contemporains (si c'est bien ainsi que je vais traduire "mood charts" ; leur usage, lié à une certaine approche de la bipolarité qui s'appuie sur la tradition américaine du "self-help", ne s'est guère diffusé en France pour le moment.) Elle cite à un moment l'inventeur du thermomètre en question, un certain B. Rush. C'est la page 196 de Bipolar Expeditions - où on pourra trouver la référence originale du texte :
"The inventor of the thermometer is persuaded that if ladies and gentlemen, young as well as old, were to use the instrument according to the directions which accompany it, they would find their own happiness increase, and their acquaintance more desirous at all times of their company; neither has he the least doubt, but husbands and wives, parents and children, masters and servants, would find their lives become gradually much more easy and happy by a proper attention to it. N.B. the scale had better be hung up out of reach."
L'inventeur du thermomètre est persuadé que, si les dames et les messieurs, les jeunes gens ainsi que leurs aînés, recouraient à cet instrument en suivant les indications qui l'accompagnent, ils verraient leur propre bonheur augmenter et leurs proches se montrer à toute heure plus désireux de jouir de leur compagnie. L'auteur ne doute pas davantage un instant que les maris et les épouses, les parents et les enfants, les maîtres et les domestiques verraient leur vie devenir progressivement plus simple et plus heureuse s'ils y portaient l'attention qui convient. ... (??)
Si quelqu'un a des suggestions...
mercredi 21 mars 2012
Borrowed interest (Qu'on n' "emprunte" pas "l'intérêt" des fans en utilisant un personnage célèbre dans une publicité)
(NdT : Un autre aspect du travail de traducteur, malheureusement... Quand on passe un temps fou - qui se compte en heures ou en jours - à chercher la traduction d'une expression un peu difficile. Et qui par ailleurs n'est même pas importante dans le livre.)
Le passage (p. 154) concerne une technique de marketing : par ex., envoyer aux médecins des calendriers avec des photos de Van Gogh (parce que les psychiatres seraient des fans d'art), afin de vendre des antidépresseurs... Un de ses interviewés qualifie ça avec un terme technique, sur lequel on trouve quelques vagues trucs sur Internet en anglais (mais pas en français), assez critiques d'ailleurs : "borrowed interest" :
Les explications que je donnais dans un mail à mon éditrice :“ (...) Une autres difficulté notable que j'ai rencontrées pour le chapitre 6 ; je pensais que vous gagneriez du temps si j'attirais tout de suite votre attention dessus. Il s'agit de "Borrowed interest" : C'est un terme marketing, mais je n'ai quasiment rien trouvé en français. La principale page qu'on trouve sur Internet sur le sujet, c'est moi qui l'ai créée en lançant une discussion sur un site de marketing (sans réponse convaincante)... Rien dans les lexiques franco-anglais du marketing non plus ; finalement, j'ai trouvé un passage où ils utilisaient (et donc traduisaient) la notion dans Les marques pour les Nuls. Je pense que la traduction est bizarre, mais finalement je m'en suis inspiré. Voici, pour mémoire, le texte original, en anglais (Branding for Dummies, p. 198) :
In some ads, the art shows the product being advertised. In other cases, it shows the product in use or represents the benefits the product delivers. In yet other cases, the art relies on what's called borrowed interest by featuring a photo or an illustration that indirectly relates to the ad message.La traduction en fr. (p. 323) :
Certaines annonces présentent le produit dont elles font la publicité. D'autres mettent en scène le produit en cours d'utilisation ou représentent les bénéfices qu'il délivre. C'est ce qu'on appelle la route centrale, celle qui s'appuie sur les attributs du produit ou service. Dans d'autres cas encore, la partie graphique repose sur ce qu'on appelle la route périphérique, une approche consistant à utiliser des éléments visuels attractifs indirectement liés au message de l'annonce.Quant au passage d'Emily Martin (encore une fois, la trad. que je propose n'est vraiment pas fameuse, mais....) :
Later, Jack Levy, medical director of an advertising agency, explained the general principle behind the effort: borrowed interest. Inside the mailing tube with the calendar would be a paragraph on the famous figure and then a full Lithium-P sell: "An example of borrowed interest would be using Cal Ripkin in an ad for a beta blocker. Cal doesn't take the drug, but we borrow his long duration and hope it sticks to the drug." (p. 154)Qui devient :
Plus tard, le directeur médical d’une agence de publicité, Jack Levy, m’expliqua le principe général derrière cette démarche : capter l’attention par une voie détournée. A l’intérieur du cylindre dans lequel on envoie le calendrier, il y a un paragraphe sur le personnage célèbre et ensuite un argumentaire complet sur le Lithium-P : « Un exemple de voie détournée serait d’utiliser [le joueur de base-ball] Cal Ripkin dans une publicité pour un bêta-bloquant. Cal ne prend pas ce médicament, mais nous essayons de capter l’image de sa longévité exceptionnelle en espérant qu’elle soit associée au médicament. »
(...) Cordialement etc. ”
Comme d'habitude, les suggestions sont les bienvenues, je ne suis pas du tout enchanté par cette solution.
(Tout de même une petite satisfaction dans cette histoire : c'est la première fois qu'une technique de traduction que j'avais imaginée exactement pour ce genre d'expressions donne quelque chose. Il s'agit de chercher dans Google Livres des ouvrages anglais qui utilisent l'expression qui m'intéresse, puis de regarder sur le catalogue de la BNF s'ils ont été traduits. Malheureusement, vu le nombre de traductions, c'est surtout une technique pour perdre son temps. Quand j'ai vu ce titre "for Dummies", je me suis dit que c'était ma chance, vue la popularité de la série en français aussi. Néanmoins, la version française est largement adaptée, des passages entiers sont enlevés / rajoutés. Sur les trois occurrences de l'expression dans l'originale, je n'ai retrouvé que celle-ci, ce qui est déjà un coup de chance.
Un autre aspect, encore, mérite d'être souligné : le rôle des gens autour de soi. Il ne faut pas en attendre des miracles, parce qu'ils réfléchissent quelques minutes à un problème de traduction qu'on travaille en général depuis des jours. Mais parfois leur avis permet de trancher ou de finaliser quelque chose. C'est le cas ici, où j'avais, en gardant l'idée du livre pour les Dummies, pensé à "capter l’attention par une route périphérique". Mais, quand j'ai demandé conseil, on m'a suggéré plutôt cette "voie détournée", qui sonne mieux. "Route périphérique" est une expression attestée en marketing, au contraire de "voie détournée", mais j'imagine que le public d'un livre d'anthropologie médicale s'en fiche un peu.)
jeudi 8 mars 2012
Quand on développe en français les formules concises de l'anglais
(NdT : ces jours-ci, j'entre les corrections de l'éditrice du livre pour la première version que je lui ai proposée des chapitres 1 à 5. C'est long et frustrant parce que je voudrais plutôt avancer dans la traduction des chapitres. Mais en même temps c'est intéressant pour deux raisons :
- d'une part parce que ça soulève des points de désaccord, sur la bonne manière de traduire, donc sur des enjeux à la fois de langue et de compréhension ;
- d'autre part parce que ça me fait travailler mon français, la maîtrise de la langue écrite, ce qui est une des raisons pour laquelle je voulais faire cette traduction. C'est Jean-François Billeter, dans un petit texte sur la traduction à la fin des Etudes sur Tchouang Tseu, qui insiste sur ce point : traduire permet de ne travailler que l'expression, de se concentrer sur la forme, que - curieusement - on n'enseigne jamais aux étudiants en lettres (ni, a fortiori, en sociologie, comme dans mon cas).
C'est aussi une dimension à part entière du travail de traducteur, qui a donc sa place dans ce blog.
J'espère faire plusieurs notes sur ces corrections ; en voici une qui ne concerne que le second point, la forme, pour commencer.)
Parmi les nombreuses corrections à faire, un problème dans mon écriture revient sans cesse, dont je me dis que je devrais pouvoir à la longue le repérer moi-même et l'améliorer : c'est le décalage entre les compléments, notamment les compléments de groupes nominaux, typiquement les génitifs ("le livre d'Emily Martin", par ex.), en anglais et en français. En gros : l'anglais fait court, le français peut faire court aussi (c'est le texte que je propose en général, calqué, sur ce point, sur l'anglais, et qui est compréhensible) mais préfèrera en général expliciter la relation, en la développant avec une formule verbale.
(Noter que c'est l'une des raisons essentielles pour lesquelles la version française est toujours plus longue que la version anglaise.)
Il doit y avoir moyen de dire la même chose mieux et plus simplement (mais peut-être ai-je des lecteurs grammairiens qui ont les mots pour le dire ?), mais il vaut mieux passer aux exemples, qui sont tous tirés de la première moitié du livre d'Emily Martin (dans l'ordre : l'anglais, ma première traduction, la traduction revue après correction) :
At the turn of the twentieth century the French writer Le Bon described the fear of crowds graphically (p. 66)On trouve des descriptions imagées dela peur des foulesau tournant du xxe siècle dans les écrits du Français Le BonOn trouve des descriptions imagées de la peur suscitée par les foules au tournant du xxe siècle dans les écrits du Français Le Bon
C'est un exemple assez pur ; développer le complément avec une formule verbale a notamment le mérite de préciser la nature du génitif, qui est dit "objectif" (les gens ont peur des foules) et non "subjectif" (la peur des foules, ça pourrait être la peur qu'éprouvent les foules. Ce sont des restes de grammaire latine).
Dans l'exemple suivant, le génitif est clair en anglais, moins clair en français où j'avais utilisé "par", appelant déjà implicitement une forme verbale :
Les exemples suivants ne sont pas des génitifs, mais me semblent relever de la même logique :
I want to evoke a more modest notion of performance, with the help of anthropologist Donald Brenneis's description of the Indian pancayat in Fiji. (p.78)
Je voudrais recourir à une notion de performance plus modeste, à partir dela description par l’anthropologueDonald Brenneis du pancayat chez les Indiens des îles Fidji.
Je voudrais recourir à une notion de performance plus modeste, à partir de la description donnée par l’anthropologue Donald Brenneis du pancayat chez les Indiens des îles Fidji.
I am arguing that recognizing the multiplicity and interruption often experienced in manic depression makes the judgment that it is an irrational state more comprehensible. (p. 73)
L'idée que je défends,c’est que percevoirla multiplicité et l’interruption fréquemment ressenties dans la maniaco-dépression rend plus compréhensible...
L’idée que je défends, c’est que le fait de percevoir la multiplicité et l’interruption fréquemment ressenties dans la maniaco-dépression rend plus compréhensible...
Ici il s'agit sans doute plutôt d'une rupture de construction (anacoluthe, si mes souvenirs des cours de français sont corrects) :
a "contact zone" [is] a space where people with different kinds of power and perspectives negotiate cultural meanings. (p. 100)
une « zone de contact » [est] un espace oùdes gens dans un rapport de pouvoir inégal et avec des perspectives différentesnégocient des significations culturelles.
une « zone de contact » [est] un espace où des gens qui sont dans un rapport de pouvoir inégal et ont des perspectives différentes négocient des significations culturelles.
(Je me rends compte en écrivant cette note qu'en fait c'est ma traduction de "different kinds of power" qui est bizarre. Il va falloir revoir ça.)
Un dernier exemple, qui est un festival (ma traduction n'était vraiment pas belle) :
Un dernier exemple, qui est un festival (ma traduction n'était vraiment pas belle) :
a paper (...) about the pedagogical similarities between training students to do ethnography and training them to do psychotherapy. (Chap. 4, note 3)
un article sur les similitudes pédagogiques entre apprendre aux étudiants à pratiquer l'ethnographie et leur apprendre à pratiquer la psychothérapie.
un article sur les similitudes pédagogiques qu’il y a entre le fait d’apprendre aux étudiants à pratiquer l'ethnographie et celui de leur apprendre à pratiquer la psychothérapie.
Etc etc. Je peux multiplier indéfiniment les exemples. Encore quelques uns, en vrac (juste sur le français) :
La passage ... a été inclusdans une production HBO à partir des séquences inutilisées, dans une série intitulée Nurses
La passage... a été inclus dans une série intitulée Nurses, une production HBO effectuée à partir des séquences inutilisées.
à sa mort chacune de ces personnes devient un ami,toujours en moi
à sa mort chacune de ces personnes devient un ami, toujours présent en moi
un terme archaïque des indiens de l'Ouest pour « une houle de l'océan, qui se produit par temps calme (...) »
un terme archaïque des indiens de l'Ouest pour désigner « une houle de l'océan, qui se produit par temps calme (...) »
le code pour la plupart des affections classées dans la catégorie « troubles de l’humeur » du DSM-IV
le code utilisé pour la plupart des affections classées dans la catégorie « troubles de l’humeur » du DSM-IV
Charles, que son patron avaitrenvoyé d’un posteinfluent de consultant...
Charles, renvoyé alors qu’il occupait un poste influent de consultant...
Pour finir, quelques corrections que je vous propose de faire vous-mêmes, en guise d'exercices ; pouvez-vous repérer le problème ?
"Sans commenter l’entorse à son traitement , Felicity, l’animatrice du groupe, lui dit..."
"Quel médicament ou quelle thérapie avait suivi chaque diagnostic ?"
Et deux exemples qui n'ont pas encore été corrigés par mon éditrice, mais il semble que je sois devenu un peu sensible au problème, à force, alors je les ai repérés (il s'agit d'un nouveau chapitre ; ces problèmes m'apparaissent au moment où je réécris la première version, dans laquelle je ne me suis pas attaché à la qualité de la langue mais juste au sens) :
Deux cadres des services de recherche et de production de la même société me racontèrent...
Un courriel de Sarah Taylor, qui a une longue expérience dans le marketing pharmaceutique, résume l'importance de conférer aux médicaments des traits de personnalité spécifiques...
J'attends, pourquoi pas, les réponses dans les (éventuels) commentaires ?
vendredi 2 mars 2012
Where the elbow nudges them along to (Que le "coude" ne "pousse" pas les catégories médicales le long d'une "échelle")
(Ndt : Une phrase un peu anecdotique, mais difficile à comprendre. Ce qui illustre un autre aspect important du boulot de traduction : quand on appelle au secours quelqu'un dont c'est la langue maternelle.)
« Chère Maddy,J'ai cette phrase qui me cause des soucis depuis un certain temps. M..., à qui j'avais demandé conseils, a perdu son calme dessus et mon éditrice m'a tiré les oreilles pour la traduction incompréhensible que j'en avais faite dans une première version. Je n'ose plus utiliser les forums de discussion, comme tu sais. Voici la phrase en question :John, l’animateur du groupe, essaya de calmer les choses, là encore en utilisant les catégories du DSM, mais en insistant sur le continuum qui les relie : "Everything is on a scale without sharp breaks, there's schizophrenic, schizoaffective, manic depressive, and so on. Where they are just depends where the elbow nudges them along to. The important thing is to realize we are all human, and that sometimes unfortunately gets lost." (Bipolar Expeditions, p. 138-139)Etc. etc.,(NdT) »
« Cher (NdT),Deux expressions sont mélangées ici. "Elbow nudging" est une expression tout faite. You nudge someone with your elbow to give them a silent hint. Je ne vois pas la pertinence de cette expression ici, et je crois qu'en fait c'est la deuxième expression qu'il veut. You "nudge something along" to help it grow slowly, reach a new phase, reach transformation. Ou : là où penche la balance. Cela me rappelle une autre expression, rare : to place your thumb on the scales. La goutte d'eau qui fait déborder le vase, en quelque sorte, pour passer d'un état à un autre. Je crois que l'apparition du coude est un erreur du langage parlé, improvisé. Il voulait "nudging along" et quand il a pensé "nudge" il a automatiquement ajouté "elbow". Je serais tentée de traduire en laissant tomber cette histoire de coude et d'indice silencieux.Etc. etc.,Madeleine »
Ma version actuelle (mais les suggestions sont les bienvenues) :
« Tout cela se situe sur une échelle sans ruptures tranchées. La schizophrénie, les états schizo-affectifs, la maniaco-dépression, et ainsi de suite, on a dû mettre des frontières, c’est tombé comme ça. Ce qui est important, c’est de prendre conscience que nous sommes tous humains, et malheureusement c’est quelque chose qu’on oublie. »
Merci, Madeleine!
[Edit le 4 mars. Maddy réagit à ma note de blog et surtout à la traduction que j'ai proposée : "... possible, mais ce n'est pas celle que je lis... "they" se réfère au diagnostic plus qu'à la maladie ...Donc pour moi il dit que quand on donne un diagnostic à un patient, on exagère en quelque sorte sa maladie... la tirant du côté de telle ou telle étiquette... ton essai de traduction est très joli, mais... pas d'accord."]
samedi 25 février 2012
Drugs as a managament tool (Que les "médicaments" ne permettent pas "la performance du calme")
(NdT : Pour le moment j'ai surtout discuté, dans ce blog, le sens d'un terme ou d'une expression nominale. Mais je crois que ça donne une image fausse des problèmes de la traduction et une philosophie biaisée des questions de langue ; dans la traduction, les "concepts", et ce qu'ils recouvrent, ne sont qu'une question secondaire - même si elle a l'intérêt d'être facile à illustrer avec google image.
Le problème discuté ici me semble plus fidèle à mon travail habituel. Même si cela touche à des questions de concepts, il s'agit de remanier sur plusieurs points une phrase pour deux raisons : des questions de langue, simplement parce qu'on n'écrit pas telle ou telle chose en français, et des contraintes par rapport aux autres choix de traduction qui ont été faits dans le reste du livre.)
Le problème discuté ici me semble plus fidèle à mon travail habituel. Même si cela touche à des questions de concepts, il s'agit de remanier sur plusieurs points une phrase pour deux raisons : des questions de langue, simplement parce qu'on n'écrit pas telle ou telle chose en français, et des contraintes par rapport aux autres choix de traduction qui ont été faits dans le reste du livre.)
Bipolar Expeditions, p. 171 :
"Les médicaments doivent être considérés, non pas nécessairement [comme un outil de gestion : as a management tool], une conception qui soulève inévitablement la question de savoir si c'est le patient ou le médecin qui est en charge de la médication, mais plutôt comme quelque chose que nous pourrions appeler ["co-performers"]."
Deux petits problèmes :
- "Management tool". La réflexion d'Emily Martin sur le "management" du malade est centrale dans ce chapitre. Non sans hésitation, je pense traduire partout management par "gestion". Mais "outil de gestion", ça me fait quand même un peu bizarre, ça me fait irrésistiblement penser à la filière économie et gestion.
- "Co-performers" ? La notion de "performance" est fortement investie par l'auteure à un autre chapitre, donc il paraissait important de garder le terme : en principe, comme c'est l'habitude en sciences sociales, je traduis "performance" par "performance". Le terme ne recouvre pas la même chose dans les deux langues, mais je l'explique la première fois dans une note du traducteur. Le problème se pose cependant à nouveau quand c'est décliné sous une autre forme, qui n'existe pas en français, comme "perform / performer" (le verbe et le substantif anglais).
Les véritables complications arrivent ensuite :
"Cette terminologie ferait d'eux quelque chose comme des agents à l'intérieur de la personne qui permettraient [the performance of calm, of energy, of organization, or, if needed, of stability.] Les médicaments pourraient être considérés comme des enseignants qui permettent à la personne de vivre de tels états. Est-ce qu'un instrument de précision qui n'est que légèrement personnifié peut [perform or teach?]"
Comment faire pour garder "performance" en français, comme j'ai choisi de le faire jusqu'à présent ? Mais c'est à la fois une contrainte et une ressource : je peux citer la notion de performance en anglais, je sais que le lecteur la connaît vue qu'elle a été largement mobilisée et expliquée avant.
La solution, comme toujours, mélange différente ressources dont je dispose comme traducteur : en l'occurrence, remanier une phrase, préciser une expression et ajouter l'original anglais entre parenthèse. (Mais pas de "note du traducteur" pour cette fois).
Ma proposition à ce stade (évidemment, pas de mise en gras dans le texte réel ; en revanche les italiques y seront) [Edit le 15 mars : j'ai légèrement retouché la fin en relisant ma trad (passage barré)] :
Les médicaments doivent être considérés, non pas nécessairement comme un outil de gestion de la personne, une conception qui soulève inévitablement la question de savoir si c'est le patient ou le médecin qui est en charge de la médication, mais plutôt comme quelque chose que nous pourrions appeler des "co-exécutants" ("co-performers"). Cette terminologie ferait d'eux quelque chose comme des agents à l'intérieur de la personne qui permettraient un apaisement, une mobilisation de l'énergie, une mise en ordre ou, si besoin, une stabilisation, comme autant de tâches (performance) devenues réalisables– autant de tâches (performance) qui deviendraient ainsi réalisables. Les médicaments pourraient être considérés comme des enseignants qui permettent à la personne de vivre de tels états. Est-ce qu'un instrument de précision qui n'est que légèrement personnifié peut accomplir une tâche ou enseigner?
(Etrangement, je me sens tenu à indiquer "co-performer" en anglais, mais pas le "perform" de la fin ; peut-être parce que le mot choisi en français, "accomplir une tâche", est clairement lié à la traduction juste avant de "performance" ; en revanche, rien ne permet de relier "co-exécutants" à l'idée de performance.
Surtout, je dois remanier les substantifs "calm, energy", etc., par des formes verbales : apaisement, mise en ordre, mobilisation... Ce faisant, j'interprète un peu, j'explicite ce que contient vraiment ces expressions : de fait, si ce sont des "performances", c'est bien qu'il y a une action, une réalisation. Néanmoins, c'est toujours la même question : ai-je le droit ?)
(Illustrations : Capture d'écran google image pour "performance", en français (ci-dessus) et anglais (ci-dessous). En français, on trouve en fait un mélange du sens "français" original (la performance comme exploit sportif ou haut rendement) et le sens, influencé par l'anglais, de performance artistique.)
(Illustrations : Capture d'écran google image pour "performance", en français (ci-dessus) et anglais (ci-dessous). En français, on trouve en fait un mélange du sens "français" original (la performance comme exploit sportif ou haut rendement) et le sens, influencé par l'anglais, de performance artistique.)
lundi 20 février 2012
Self-Awareness (Que les "malades mentaux" ne sont pas "moins conscients")
Difficultés autour de "self-awareness" - à nouveau, il s'agit de thématiques qui s'ancrent, je crois, dans une philosophie américaine spécifique (proche des questions de self-help que j'ai déjà abordées ici).
Les passages en question, qui sont assez intrigants en soi (p.158-159) - il s'agit de savoir qui est le bon patient, du point de vue des publicitaires :
"Jane Fuller avait travaillé dans plusieurs campagnes publicitaires pour des médicaments psychotropes et je lui demandais si la publicité pour les médicaments psychotropes vise parfois directement les patients considérés comme malades mentaux. Elle pensait que cela serait contradictoire [parce que de tels patients peuvent ne pas être suffisamment conscients d'eux-mêmes pour agir de leur propre chef et aller chercher le médicament : because such patients might not have enough self-awareness to act on their own behalf by seeking the drug.)
Mais elle ajoutait que, si un patient prenait le médicament et commençait à se sentir mieux, il pourrait « s'investir », et commencer à se plaindre des effets secondaire quant au gain de poids ou à la sexualité. [En acquérant une conscience plus aiguë, un tel patient pourrait être en mesure de se comporter comme un bon consommateur, c'est-à-dire, de se comporter rationnellement et de chercher activement les meilleurs médicaments sur le marché : With increased awareness, such a patient might be able to behave like a good consumer,... ]
Cette traduction ne me semble déjà pas fameuse, mais c'est un peu après que je craque vraiment, quand Emily Martin commente :
(...) Maintenant nous pouvons voir que la publicité sous une forme directement adressée à la masse des consommateurs n'arrive pas à atteindre les gens considérés comme "moins conscients." : Now we can see that forms of advertising sent directly to the mass of consumers fall short of people who are thought to be "less aware."
Je vais consulter le dictionnaire des intraduisibles, l'article "Conscience", d'Etienne Balibar. Après des développements sur l'origine latine du mot et autres, apparaît le problème de traduction qui m'intéresse, p.270 :
"Depuis l'invention de la conscience, deux problèmes dominent l'expression du sujet dans les trois grandes langues philosophiques européennes et maintiennent entre elles un décalage permanent, à la limite de l'intraduisibilité, alors que les équivalences sont, en principe, fixées. [Le premier concerne l'allemand]. Le second concerne les difficultés inhérentes au discours psychologique, telles que les manifeste l'épreuve de la traduction des mots anglais consciousness et awareness."
L'explication est limpide sur le problème. p. 270 :
" La traduction des termes awareness et consciousness présente l'intérêt de mettre en évidence une difficulté théorique dont il n'est pas certain que les philosophes insulaires soient eux-mêmes bien conscients. (...) Les difficultés commencent lorsqu'il faut rendre consciousness et awareness dans un même contexte (on peut même trouver des expressions comme conscious awareness)."
[Conscious awareness : presque 3 millions d'occurrences sur Google.]
"(...) Les usages de awareness et consciousness ne sont évidemment pas disjoints, encore moins codifiés. Les contextes montrent que le terme awareness constitue
tantôt un équivalent non technique de consciousness, censé donner l'accès à une expérience commune (...)
tantôt le nom d'un phénomène élémentaire auquel pourrait se ramener l'énigme de la spécificité des phénomènes psychiques."
Mais l'explication du problème qu'il déploie se ramifie de plus en plus, celui-ci devenant de plus en plus aigu comme le note l'auteur. p.271, ce développement difficile mais intéressant pour moi :
"En fait, aware est synonyme de "non inconscient" (...) [Il y a] deux constructions rivales de cette idée d'expérience [qui correspondent] au fait que, d'un point de vue "objectiviste", ce qui fait problème est le rapport immédiat du sujet à lui-même (désigné par awareness), tandis que, d'un point de vue "subjectiviste", ce qui fait problème est le rapport immédiat du sujet aux objets (désigné par intentionality)."
C'est là qu'on commence à comprendre mieux le passage d'Emily Martin / Jane Fuller : ce qui fait problème, ce n'est pas le rapport à l'objet, mais le rapport du sujet à lui-même ; on peut penser, dans une toute autre tradition philosophique, au "souci de soi" de Foucault.
Le terme même de "sujet" vient alors à l'esprit : n'est-ce pas ainsi que s'exprimerait, en France, dans un contexte psychiatrique, une personne cultivée voulant puiser dans une philosophie diffuse de la personne ?
Le traducteur est en fait pris entre deux fidélités différentes : une fidélité au niveau de langage, cad rendre en français le discours d'une personne cultivée dans le domaine de la psychiatrie, et une fidélité à une notion philosophique dans son contexte, ici la notion de self-consciousness, ancrée dans le contexte américain.
En un sens, traduire par "sujet" ne convient pas du tout, en un autre sens on est très proche en réalité du genre de rapport au patient qui est en jeu.
Cela donnerait à peu près :
- "because such patients might not have enough self-awareness to act on their own behalf by seeking the drug." :
- "parce que de tels patients risquent de ne pas se comporter comme des sujets à part entière (might not have enough self-awareness) capables de leur propre chef d'aller chercher un médicament"
- "With increased awareness, such a patient might be able to behave like a good consumer, that is, behave rationally, and actively seek out the best drug on the market." :
- En devenant plus conscient de soi (with increased awareness), un tel patient...
- "Now we can see that forms of advertising sent directly to the mass of consumers fall short of people who are thought to be 'less aware.'"
- Maintenant nous pouvons voir que la publicité sous une forme directement adressée à la masse des consommateurs n'arrive pas à atteindre les gens considérés comme étant "moins des sujets" (people who are thought to be 'less aware.')
[Cela devient une véritable machinerie de traduction - traduire par "sujet", mais pas toujours + mettre l'expression anglaise originale pour garder le fil conceptuel + sans doute une note du traducteur.
Est-ce que j'ai le droit ?
Balibar, dans le même article, rapporte une anecdote à propos de la traduction de Locke. Celle-ci, dit-il, joue un rôle essentiel dans le débat philosophique européen sur le sens du mot "conscience". Or, là où Locke utilise self-consciousness, son traducteur de l'époque, Coste, garde le terme anglais et ajoute une note : "Self-consciousness : mot expressif en Anglois qu'on ne sauroit rendre en François dans toute sa force. Je le mets ici en faveur de ceux qui entendent l'Anglois". NdT]
mercredi 15 février 2012
medicine / drug (Que la "médecine" n'est pas plus "magique" que les "médicaments")
(Ndt : une note tout à fait anecdotique ; je n'essaie pas de construire la note, qui du coup suit le cours de ma pensée. C'est plus rapide pour moi. Je remarque aussi que d'écrire cela m'aide à m'éclaircir les idées sur ce problème.
Au passage, je découvre par hasard un artiste "brut" très chouette ("magic medicine rabbit") - les hasards heureux d'Internet.)
"You can only be cured if your medicine has a power beyond being medicine, well, beyond being a drug." (B.E., p. 162 ; c'est un extrait d'entretien.)
Si on traduit aussi bien "medicine" que "drug" par médicament, comme je le fais depuis le début, comment se sortir de ce petit piège ?
Medicine : médecine, médicament, remède.
(Soit je traduis par remède et par médoc, soit par médicament et par médecine. Le premier n'a aucun intérêt, ça n'ajoute rien -- mais la phrase originale a-t-elle plus d'intérêt que cela ? Le second est intéressant, mais demanderait à inverser l'ordre) :
"Vous pouvez être guérie seulement si votre médicament a un pouvoir qui dépasse un médicament, enfin, qui dépasse la médecine."
"Vous pouvez être guérie seulement si la médecine n'est pas seulement de la médecine, je veux dire, si c'est plus qu'un médicament." [Mais ça sent trop la formulation anglaise, "if your medicine..."]
La suite précise un peu (notamment le sens du "well", qui était un peu bizarre) : " What makes it a medicine instead of a drug are the magical properties that I associate with it."
On peut parfaitement garder "médecine" ; vraiment de la médecine, pas juste un médicament. Mais est-ce le sens qu'elle donne ? On s'éloigne plutôt de l'idée de magie... Peut-être, finalement, "remède" vs "médicament" ? Remède renvoie un peu aux potions magiques (d'ailleurs, on dit "un remède magique")... mais le mot semble plus faible, en français, que médoc. No idea.
Que nous apprend Google images ? (Plutôt, que nous suggère-t-il, ça n'a évidemment aucune valeur de preuve, même de loin)
(Je remarque, de plus en plus souvent, que je ne peux pas me contenter de deux captures d'écran.
Je ne dois pas comparer les expressions 2 à 2 - entre l'expression anglaise et la traduction française à laquelle je pense - mais 4 à 4. Y a-t-il la même nuance entre A et B en anglais qu'entre A' et B' en français ?
Le problème, si je compare seulement "remède magique" et "magic medicine", c'est que je ne sais pas si l'association entre les deux termes, entre magic et medicine, est vraiment pertinente, significative, ou si on retrouve la même entre magic et drug.)
Magic drug et médicament magique semblent sur le même plan ; en revanche, "magic medicine" renvoie vraiment à la magie, ce que n'a pas "remède magique" en français, qui renvoie au mieux à une sorte d'écologisme (avec, encore une fois, une forte orientation vers un public féminin.)
Illustration : Capture d'écran google images ; en haut, "magic drug" vs "médicament magic" ; bas de la page, "magic medicine" (ci-dessus) vs "remède magique" (ci-dessous)
vendredi 10 février 2012
Energie "créatrice" ou "créative" ? (Que la "conception des publicités" ne peut pas être le fait des "concepteurs publicitaires" sans une certaine lourdeur)
"In devising ads for drugs used to treat manic depression, advertising designers take for granted cultural associations between manic depression and creative energy." (Bipolar Expeditions, p. 161)
"Creative energy" : "énergie créative" (50000 occurrences sur google) ou "énergie créatrice" (200000 occurrences) ?
TLFI, sur "créatif" :
"Créatif paraît aux puristes doubler inutilement créateur. Ils oublient que les psychologues, les sociologues peuvent avoir besoin d'un terme spécifique qui se démarque d'un terme courant. Or, imaginatif, sensitif, etc., justifient l'existence de créatif à côté de créateur."
Cela me laisse totalement perplexe.
Le problème se complique avec la traduction de "advertising designers" dans la même phrase : "créateur publicitaire" risque de faire répétition. Mais "concepteur publicitaire" pose le même problème de répétition, si je traduis "In devising ads..." par "Dans la conception des publicités..."
Juste traduire par "les publicitaires", probablement. Ou par "les publicistes" ? Un coup d'oeil à Google image me confirme un sentiment diffus -- que la première expression est plus péjorative, ou moins sérieuse que l'autre.
"Dans la conception des publicités pour les médicaments utilisés dans le traitement des maniaco-dépressifs, les publicistes tenaient pour acquis les (liens culturels) entre maniaco-dépression etReste, donc, le problème de "cultural associations", que je mets dans un coin pour le moment.énergie créatriceénergie créative."
[Edit, le 25/02/12 : finalement, tout le monde trouve qu'il vaut mieux dire "énergie créative", sans trop savoir pourquoi. Peut-être parce que cela renvoie à "créativité", alors que "créatrice" renverrait à la création, à Dieu etc. - bref, un tout autre registre. En fait, je crois que c'était le sens de la remarque du Tlfi, que je n'avais pas comprise.]
[Google image : Je suis aussi intrigué par la dimension assez féminine d'une partie des images, en français pour "énergie créative" ou même "énergie créatrice". Visiblement, une partie de ceux qui utilisent ce terme visent un public féminin, comme mon paquet de Spécial K au chocolat ou comme les revues pour le yoga. L'expression anglaise ne semble pas avoir cette connotation.
(Ndt)]
Illustration : google image pour "énergie créative", en haut, "creative energy", ci-dessous.
mercredi 25 janvier 2012
"microlecture", en Fr. et aux EU (ressources à explorer)
Découvert aujourd'hui que le terme "microlecture" renvoie à deux sens très différents, en français et en anglais :
1. En français, il s'agit d'un terme inventé apparemment par le critique littéraire Jean-Pierre Richard, à la fin des années 1970. Voir l'introduction du numéro passionnant sur cette forme d'analyse littéraire, par Marc Escola ; si je peux me permettre d'en citer quelques phrases -- moins que quelques phrases ; d'en faire une sorte de micro-lecture ; pour en donner un aperçu forcément confus :
façon de lire,
petites lectures ? lectures du petit ?
opèrent comme un changement d’échelle.
une insistance, une lenteur, un vœu de myopie...
Déceler, dans la successivité exacte du texte
pour le lecteur soucieux du détail...
restreint à un échelle minimale...
le lieu où s’inventent une méthode de lecture...
la microlecture d’une seule...
pour peu qu’elle sache s’ouvrir aux effets de série ...
(Sont cités, notamment, Jean-Pierre Richard, Roland Barthes,Tzvetan Todorov, Michel Foucault, Roman Jakobson et Claude Lévi-Strauss... Walter Benjamin, Carlo Ginzburg).
On y apprend, entre autres, que la traduction du terme en anglais est alors close reading.
2. Rien à voir, donc, avec la "microlecture" au sens américain (littéralement, une micro-conférence, un micro-cours), liée à l'humeur du temps des années 2000, avec la mode des micro- :
- microcrédit, microblogging ;
- micro-sociologie, mais là il s'agit d'une montée en puissance beaucoup plus ancienne ;
- "micropolitique(s)" : le catalogue de la BNF donne cinq références, toutes dans les années 2000
Microlecture, donc : un cours ramené à une échelle de temps vraiment minuscule (disons une minute. Absurde ? Ce que je trouve pour le moment sur youtube par exemple est nettement plus long, et n'a strictement rien de neuf.)
Je note quand même, sur la page de wikipedia (la section "How to create a One Minute Lecture"), la méthode : ramener un cours d'une heure à ses éléments clés - trois, quatre ; ramener le contexte à 30 secondes d'introduction, etc. ...
Cela m'intéresse, parce que c'est à peu près comme ça que je travaille, pour écrire, pour travailler un texte (comme celui de Escola cité plus tôt), etc*.
Changer sans cesse d'échelle : développer une idée (ou lire un passage où l'auteur développe une idée), puis le réduire à sa quintessence - cinq mots, trois expressions que je garde, où qui me semblent révélatrices, importantes - puis redévelopper, etc.
(C'est ici que la microlecture américaine et la microlecture française peuvent se rejoindre ; dans ce changement d'échelle. J'ai du mal à imaginer en faire une fin en soi - un cours d'une minute, vraiment ? - mais il faut voir.)
* [J'utilise cette méthode de changement d'échelles pour lire ou pour écrire, mais pas pour traduire. Pour traduire, j'utilise plutôt une méthode de mise en série dont je parlerai un jour peut-être - cette note est donc hors-sujet pour ce blog ; sauf qu'on est quand même dans les questions de plurilinguismes et d'usage d'Internet qui m'intéressent dans la traduction. Google comme outil de "sérendipité" : faire une découverte par hasard, comme apprendre qu'il y a des microlectures dans les universités américains en faisant une recherche sur les microlectures des critiques français. (NdT)]
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