(NdT. C'est un peu anecdotique, mais quelque chose dans la traduction de cette phrase m'a semblé intéressant ; en tout cas ça m'a fait réfléchir.)
Emily Martin, p. 214 : elle vient de citer Les Mots pour le dire, roman autobiographique d'un auteur français, Marie Cardinal ; ça a l'air bien, je le mets sur la liste des livres que j'aimerais lire si j'ai l'occasion ou le temps. Il s'agit du moment où l'auteure bascule pour la première fois dans la folie, en écoutant un morceau d'Amstrong. Puis Emily Martin cite le commentaire sur ce passage d'un autre écrivain, Toni Morrison :
Toni Morrison writes that she remembers smiling when reading this passage, in part because Cardinal's recollection of the music had such immediacy, and "partly because of what leaped into my mind : what on earth was Louie* playing that night? "
Faut-il traduire "Toni Morrison writes that she remembers smiling..." par "Toni Morrison écrit qu'elle se souvient d'avoir sourit..." ?
Comme ça me paraît lourd, j'ai d'abord traduit par "Toni Morrison se souvient d'avoir souri en lisant..." Il y avait juste quelque chose qui me gênait diffusément.
Par ailleurs (mais il y a un lien, comme on va le voir), comment traduire "immediacy" ?
Or, voici le passage en question de Toni Morrison, qui est traduit en français (curieusement, dans l'édition française de 1993 que je consulte, le titre est en anglais sur la couverture, Playing in the dark, mais est ensuite traduit à l'intérieur du livre, dès la page 1 : Jouer dans le noir), p. 9 :
Je me souviens d'avoir souri en lisant ces lignes, en partie par admiration pour un souvenir si net, si présent, de la musique, en partie à cause de ce qui a surgi dans mon esprit : que diable Louis jouait-il donc ce soir-là ?"(Ce qui est bizarre dans ma traduction ci-dessus devient plus clair je crois : le passage du discours direct -- "Je me souviens d'avoir..." -- au discours indirect : "Elle écrit qu'elle se souvient d'avoir..."demande en réalité une plus grande transformation de l'original. Du moins en français ; j'ignore comment c'est ressenti en anglais).
Encore une fois, il me manque un peu les catégories grammaticales pour le dire. Mais il me semble que le problème vient de ce que, dans la phrase de Morrison, l'expression "je me souviens" joue un rôle équivalent à celui du verbe introductif pour passer au discours indirect : "Toni Morrison écrit que..." ; c'est-à-dire qu'il s'agit d'un commentaire à un niveau supérieur qui énonce un fait (un souvenir). Je crois qu'on peut juste dire, sans changer aucunement le sens : "Toni Morrison écrit qu'elle avait souri en lisant..."
De manière plus secondaire, pour "immediacy", le problème est pour ainsi dire inversé. Il me semble qu'on peut dire que la description de Morrison -- "un souvenir si net, si présent" -- est du discours direct ; que la réécriture par E.Martin, qui résume ça avec une notion plus abstraite, "immediacy", est totalement justifiée pour du discours indirect. Mais comme, en français, "immédiateté" ne passe pas, j'ai envie d'utiliser une forme intermédiaire :
1) comme Martin, utiliser des substantifs qui collent mieux avec le discours indirect, mais
2) en utiliser deux (et en cela, je m'éloigne du texte que je traduis mais je ne trahirais pas l'original de Morrison) pour restituer une idée qu'un seul mot saisi mal en français. Cela donnerait :
Toni Morrison écrit qu'elle avait sourit en lisant ce passage, en partie à cause de l'évocation vivante et fraîche par Cardinal de la musique, et "en partie à cause de ce qui a surgi dans [son] esprit : que diable Louis jouait-il ce soir-là ?"
* Addendum : pourquoi "Louie" dans la version anglaise de la citation de Morrison ? A cause de l'influence... du français. Voilà ce que dit Wikipedia : "Louis Daniel Armstrong (prononcer « Louis » à la française, que lui-même écrivait Louie par hypercorrection)..."
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