mardi 17 avril 2012

Quand on doit infléchir la fonction des mots par rapport aux lecteurs

(NdT. Frustration... J'ai plein de notes en réserve mais pas le temps de les mettre en forme, alors même que c'est ce qui m'intéresse le plus, maintenant que la traduction a pris un côté un peu répétitif. Cette fois, c'est un truc un peu anecdotique, mais je préfère une petite note que rien. Surtout que ça se révèle assez long à expliquer finalement, comme toujours). 

Un rebondissement à propos d'une précédente note de blog (ma traduction de borrowed interest) ; je rappelle brièvement le texte et la traduction que je proposais :


Later, Jack Levy, medical director of an advertising agency, explained the general principle behind the effort: borrowed interest.  (...) "An example of borrowed interest would be using Cal Ripkin in an ad for a beta blocker. Cal doesn't take the drug, but we borrow his long duration and hope it sticks to the drug." (p. 154)

Qui devient :

Plus tard, le directeur médical d’une agence de publicité, Jack Levy, m’expliqua le principe général derrière cette démarche : capter l’attention par une voie détournée. (...) « Un exemple de voie détournée serait d’utiliser [le joueur de base-ball] Cal Ripkin dans une publicité pour un bêta-bloquant. Cal ne prend pas ce médicament, mais nous essayons de capter l’image de sa longévité exceptionnelle en espérant qu’elle soit associée au médicament. »

J'ai un petit échange de mails à ce propos avec Jérôme, dont j'apprécie toujours le point de vue rigoureux et souvent différent du mien. Il m'écrit : 



Ta traduction me convient, à un détail hors sujet près:  il me semble que "longévité" seul traduit déjà "long duration", et qu'en tout cas "exceptionnel" va beaucoup plus loin.

C'est vrai : pourquoi je me suis senti obligé d'ajouter "exceptionnelle" ?
Il faut remarquer que j'ajoute aussi entre crochet "[le joueur de base-ball]". Après réflexion, je crois que les deux ajouts vont dans le même sens, à savoir : le lecteur américain connaît Cal Ripkin, il sait que c'est un joueur de baseball dont la carrière a connu une exceptionnelle longévité, suffisante pour en faire un symbole intéressant pour une publicité.
Mais le lecteur français ordinaire ignorera tout cela. Une possibilité, un peu lourde, à laquelle j'ai recourt à d'autres endroits du texte est de mettre une note de bas de page. Une autre possibilité est d'ajouter quelques légères touches, qui pourraient se trouver dans le texte original. Il me manque des termes techniques grammaticaux pour expliquer cela, mais la fonction de la phrase change subtilement.
En gros, "Cal Ripkin" et " his long duration " ont pour fonction de renvoyer à une réalité extérieure ; alors que "[le joueur de base-ball] Cal Ripkin" et "sa longévité exceptionnelle" ont pour fonction d'informer le lecteur.
Dans le texte anglais original (qui est une citation orale), ce dont il s'agit est familier à l'interlocutrice (et aux lecteurs), qui combleront les trous tout seul. Dans le texte français, le lecteur l'ignore sûrement, donc on l'informe : c'est un joueur de base-ball et la durée de sa carrière a été exceptionnelle.
(Ce qui est discutable, c'est qu'on pourrait dire que "long duration" a une fonction informative : ça a été long. Je ne le pense pas. Je crois que ça renvoie vraiment à une information implicite ; de même que si j'écris juste en français "nous essayons de capter l'image de sa longévité", cela renvoie à une information implicite : quelle longévité ? Dire qu'elle a été "exceptionnelle" semble boucher ce manque, même si en un sens on n'en sait pas plus. Mais comme je l'ai dit, c'est subtil et il me manque des termes techniques pour expliquer cela. Y a-t-il un grammairien pour nous aider ?)


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