Nouveau chapitre, sur les concepteurs de médicaments psychotropes - tout un nouveau langage que je dois assimiler.
Il s'agit d'un passage où Emily Martin enquête sur le design des médicaments - ceux qui travaillent dans les labos se plaignent de devoir prendre en compte le dosage, la forme, la couleur même. "Les papilles gustatives des enfants ne sont pas les mêmes que celles des adultes, et les goûts n'ont pas les mêmes connotations selon les cultures." C'est là que le type donne cet exemple :
"A wintergreen flavor we once used is associated in France with the scent of toilet bowl cleaners!"
Wintergreen ? Ce genre de terme, précis, est en général facile à traduire -- il y a un seul sens, une traduction sans équivoque. Mais "wintergreen" se traduit, sans rire, par "gaulthérie couchée".
Images : Le terme dans ces usages différenciés. Deux saisies d'écran dans google image pour "gaulthérie couchée" (ci-dessus) et pour "wintergrass" (ci-dessous)
Je ne peux juste pas écrire:
"Une saveur gaulthérie couchée que nous avions utilisée une fois est associée, en France, aux produits pour nettoyer la cuvette des WC".
Pourquoi peut-on le dire en anglais et pas en français ? Et comment traduire ?
- Comme pour antimacassar / têtière, on peut se dire que c'est une question de familiarité. On utilise plus la "wintergreen" aux EU qu'en France. Google donne 60 000 occurrences pour "gaulthérie couchée", contre 5 millions pour wintergreen. Un rapport de 1%, alors qu'on est plutôt d'habitude à 10% dans mon expérience (ce que confirment en gros les statistiques que j'ai trouvées là).
- Mais il y a une autre dimension, liée au mot lui-même. "Wintergreen" est un mot simple, immédiatement accessible aux projections (le froid, un vert sombre... ce qui n'est pas anecdotique ici, puisqu'il s'agit de voir les connotations sensorielles associées aux psychotropes.) Alors que "gaulthérie couchée", c'est le genre de mot qu'on ne peut imaginer que dans une liste d'ingrédients, sur les étiquettes d'une tisane médicinale ou d'une lotion pour le corps. Apparemment, c'est à peu près les seuls usages qu'on en fait en France.
- Il vaut sans doute mieux juste traduire par : "Une plante aromatique que nous avions utilisée une fois est associée... " etc.
[J'aimais bien cette phrase... Pour la traduire, à mon avis, ce qui compte surtout c'est que c'est une phrase sans importance. Je dois faire attention à la traduction des termes de jargon des publicistes - comment traduire "borrowed interest" ? -, même si ce n'est pas le centre du livre et qu'ils ne sont parfois utilisés qu'une seule fois, parce que c'est un peu l'objet du chapitre : se mettre dans la peau d'un publiciste, d'un "marketer" de produit psychotrope. Ici, en revanche, ce n'est qu'une remarque en passant, sans conséquence sur le reste. Je me sens autorisé à ne prendre qu'une dimension en compte : la compréhension et le confort du lecteur français.
(Ndt)]
Et carrément traduire wintergreen par "pin sylvestre", t'as pas le droit ? C'est sûr, c'est pas la vraie trad de wintergreen, mais on comprend tout de suite ce dont elle veut parler, non ?
RépondreSupprimerC'est vrai, ça...
RépondreSupprimer(On associe le pin sylvestre, en France, à l'odeur des nettoyants WC ? Mais quoi d'autre ? Sur google image, je trouve pas grand-chose : la "fraîcheur bleue", la "force verte"...)
ben, c'est souvent parfumé à l'eucalyptus aussi, mais il me semble que des médicaments goût eucalyptus, ça passe mieux que des médicaments "pin sylvestre". Sinon, pendant ta prochaine virée au supermarché, tu peux aller faire un tour dans le rayon des produits d'entretien et voir ce qu'ils proposent comme parfum ?
RépondreSupprimerD'après ma soeur, il vaut mieux s'en tenir à ta solution de départ : plutôt sous-traduire que sur-traduire, dit-elle (c'est beau comme du Duras, cette phrase).
RépondreSupprimerMerci Dr Béru, et remercie aussi ta soeur. Est-ce qu'adapter les références au public français c'est vraiment "surtraduire" ? Dans la version française de 1Q84, le dernier Murakami, il semble que la traductrice ait choisi d'acclimater les références chaque fois qu'elle le pouvait. Dans le Japon de l'année 1984, on compare une jeune écrivain prometteuse à Françoise Sagan, la vue d'un paquet de Van Houten sur une étagère vous donne envie de vous faire un chocolat chaud, et les longs jours d'exil, cloîtré dans un appartement, sont l'occasion ou jamais de lire La Recherche du temps perdu... Bon, ça passe bien dans un roman, pour rendre la lecture plus fluide. Pour un truc universitaire, on peut se permettre des petites... "Notes du traducteur". He he... (Mais décidément, je n'en ferai pas pour gaulthérie couchée).
RépondreSupprimerJ'ai lu la version anglaise, et je me souviens avoir remarqué plusieurs fois des références à la culture française, Sagan et Proust ne sont pas seuls.
RépondreSupprimerEt comme on peut faire des recherches avec le Kindle, je peux citer:
- "a Françoise Sagan who has absorbed the air of magical realism"
- "but the sight of a can of Van Houten cocoa in a kitchen cabinet had suddenly inspired her"
- "She had started reading the Proust volumes that Tamaru had left for her."
Merci pour cette rectification... Je savais qu'il fallait que je te demande de vérifier avant de mettre mon commentaire (et pas l'inverse), mais je n'ai pas pu m'en empêcher...
SupprimerJe dois dire que la présence de ces références dans le texte original m'épate. Les Japonais sont-ils les derniers à encore lire (et parler de) Françoise Sagan ?