mercredi 25 janvier 2012

"microlecture", en Fr. et aux EU (ressources à explorer)

Découvert aujourd'hui que le terme "microlecture" renvoie à deux sens très différents, en français et en anglais :

1. En français, il s'agit d'un terme inventé apparemment par le critique littéraire Jean-Pierre Richard, à la fin des années 1970. Voir l'introduction du numéro passionnant sur cette forme d'analyse littéraire, par Marc Escola ; si je peux me permettre d'en citer quelques phrases -- moins que quelques phrases ; d'en faire une sorte de micro-lecture ; pour en donner un aperçu forcément confus :
façon de lire,
petites lectures ? lectures du petit ?
opèrent comme un changement d’échelle.
une insistance, une lenteur, un vœu de myopie...
Déceler, dans la successivité exacte du texte
pour le lecteur soucieux du détail...
restreint à un échelle minimale...
le lieu où s’inventent une méthode de lecture...
la microlecture d’une seule...
pour peu qu’elle sache s’ouvrir aux effets de série ...
(Sont cités, notamment, Jean-Pierre Richard, Roland Barthes,Tzvetan Todorov, Michel Foucault, Roman Jakobson et Claude Lévi-Strauss... Walter Benjamin, Carlo Ginzburg).
On y apprend, entre autres, que la traduction du terme en anglais est alors close reading.

2. Rien à voir, donc, avec la "microlecture" au sens américain (littéralement, une micro-conférence, un micro-cours), liée à l'humeur du temps des années 2000, avec la mode des micro- :
- microcrédit, microblogging ;
- micro-sociologie, mais là il s'agit d'une montée en puissance beaucoup plus ancienne ;
- "micropolitique(s)" : le catalogue de la BNF donne cinq références, toutes dans les années 2000 

Microlecture, donc : un cours ramené à une échelle de temps vraiment minuscule (disons une minute. Absurde ? Ce que je trouve pour le moment sur youtube par exemple est nettement plus long, et n'a strictement rien de neuf.) 
Je note quand même, sur la page de wikipedia (la section "How to create a One Minute Lecture"), la méthode : ramener un cours d'une heure à ses éléments clés - trois, quatre ; ramener le contexte à 30 secondes d'introduction, etc. ...
Cela m'intéresse, parce que c'est à peu près comme ça que je travaille, pour écrire, pour travailler un texte (comme celui de Escola cité plus tôt), etc*.
Changer sans cesse d'échelle : développer une idée (ou lire un passage où l'auteur développe une idée), puis le réduire à sa quintessence - cinq mots, trois expressions que je garde, où qui me semblent révélatrices, importantes - puis redévelopper, etc.
(C'est ici que la microlecture américaine et la microlecture française peuvent se rejoindre ; dans ce changement d'échelle. J'ai du mal à imaginer en faire une fin en soi - un cours d'une minute, vraiment ? - mais il faut voir.)


* [J'utilise cette méthode de changement d'échelles pour lire ou pour écrire, mais pas pour traduire. Pour traduire, j'utilise plutôt une méthode de mise en série dont je parlerai un jour peut-être - cette note est donc hors-sujet pour ce blog ; sauf qu'on est quand même dans les questions de plurilinguismes et d'usage d'Internet qui m'intéressent dans la traduction. Google comme outil de "sérendipité" : faire une découverte par hasard, comme apprendre qu'il y a des microlectures dans les universités américains en faisant une recherche sur les microlectures des critiques français. (NdT)]

mardi 24 janvier 2012

"Wintergreen flavor" (Que le parfum des cuvettes WC ne nous évoque pas la "gaulthérie couchée")

Nouveau chapitre, sur les concepteurs de médicaments psychotropes - tout un nouveau langage que je dois assimiler.
Il s'agit d'un passage où Emily Martin enquête sur le design des médicaments - ceux qui travaillent dans les labos se plaignent de devoir prendre en compte le dosage, la forme, la couleur même. "Les papilles gustatives des enfants ne sont pas les mêmes que celles des adultes, et les goûts n'ont pas les mêmes connotations selon les cultures." C'est là que le type donne cet exemple :
"A wintergreen flavor we once used is associated in France with the scent of toilet bowl cleaners!"
Wintergreen ? Ce genre de terme, précis, est en général facile à traduire -- il y a un seul sens, une traduction sans équivoque. Mais "wintergreen" se traduit, sans rire, par "gaulthérie couchée". 


Images : Le terme dans ces usages différenciés. Deux saisies d'écran dans google image pour "gaulthérie couchée" (ci-dessus) et pour "wintergrass" (ci-dessous)



Je ne peux juste pas écrire:

"Une saveur gaulthérie couchée que nous avions utilisée une fois est associée, en France, aux produits pour nettoyer la cuvette des WC".

Pourquoi peut-on le dire en anglais et pas en français ? Et comment traduire ?
- Comme pour antimacassar / têtière, on peut se dire que c'est une question de familiarité. On utilise plus la "wintergreen" aux EU qu'en France. Google donne 60 000 occurrences pour "gaulthérie couchée", contre 5 millions pour wintergreen. Un rapport de 1%, alors qu'on est plutôt d'habitude à 10% dans mon expérience (ce que confirment en gros les statistiques que j'ai trouvées ).
- Mais il y a une autre dimension, liée au mot lui-même. "Wintergreen" est un mot simple, immédiatement accessible aux projections (le froid, un vert sombre... ce qui n'est pas anecdotique ici, puisqu'il s'agit de voir les connotations sensorielles associées aux psychotropes.) Alors que "gaulthérie couchée", c'est le genre de mot qu'on ne peut imaginer que dans une liste d'ingrédients, sur les étiquettes d'une tisane médicinale ou d'une lotion pour le corps. Apparemment, c'est à peu près les seuls usages qu'on en fait en France.
- Il vaut sans doute mieux juste traduire par : "Une plante aromatique que nous avions utilisée une fois est associée... " etc.



[J'aimais bien cette phrase... Pour la traduire, à mon avis, ce qui compte surtout c'est que c'est une phrase sans importance. Je dois faire attention à la traduction des termes de jargon des publicistes - comment traduire "borrowed interest" ? -, même si ce n'est pas le centre du livre et qu'ils ne sont parfois utilisés qu'une seule fois, parce que c'est un peu l'objet du chapitre : se mettre dans la peau d'un publiciste, d'un "marketer" de produit psychotrope. Ici, en revanche, ce n'est qu'une remarque en passant, sans conséquence sur le reste. Je me sens autorisé à ne prendre qu'une dimension en compte : la compréhension et le confort du lecteur français.
(Ndt)]

jeudi 19 janvier 2012

"Hearing Voices", déplacer la frontière de la rationalité (ressources à explorer)

Une note de fin de chapitre que j'ai traduite aujourd'hui évoque une association assez fascinante : Hearing Voices Network*.
Cela fait partie de ces essais pour défaire ou déplacer les frontières qui isolent la "folie".
Il y a un passage, au début du livre d'Emily Martin, où elle raconte que ses étudiants révèlent avoir eu des tonnes d'expériences "irrationnelles", pour peu qu'on creuse un peu et que la parole se libère.
Il semble que Hearing Voices Network n'existe pas en France. J'ai trouvé en français très peu de chose sur google, sauf ce texte (écrit par des Québécois), qui est tout à fait dans l'esprit de ce qu'écrit Emily Martin. Les références originales et susceptibles de soulever la curiosité dans la bibliographique à la fin sont toutes absentes des catalogues de la BNF.
(J'ai découvert aussi que les groupes de soutien pour la maladie mentale, tels que ceux que décrit E.M., semblent ne pas exister non plus en France. Il y a des groupes de soutien pour les parents de personne schizophrène, par exemple, mais je n'ai rien trouvé pour les schizophrènes eux-mêmes. Encore une fois, c'est une question de self-help -- qu'on ne peut plus ici traduire par "développement personnel", on est plus proche de l'empowerment. Comme le mot, la pratique ne semble pas avoir été bien introduite en France.)
Cela me fait penser à une approche similaire (et passionnante) de re-définition de l'autisme, en espérant que l'article reste consultable longtemps : http://www.lemonde.fr/planete/article/2011/12/16/autisme-changer-le-regard_1619381_3244.html

* L'auteure dit : "C'est une organisation de gens qui "entendent des voix" en Angleterre, en Europe, et en Australie". Tout comme le découpage des périodes historiques, le découpage des ensembles géographiques n'est visiblement pas le même en France et aux Etats-Unis... Je vais mettre "en Europe, notamment au Royaume-Uni", je crois. (NdT)

"Antimacassar" : à propos d'une métaphore filée. (Que les "intérieurs" parisiens ne sont pas des "havres doucement meublés".)


Emily Martin, p. 147 -- la page centrale du chapitre 5, au niveau conceptuel -- à propos des groupes de soutien à la maladie mentale :
Les termes [de la nomenclature psychiatrique : le DSM], que j'ai décrits plus tôt comme des manteaux sous lesquels on peut s'abriter, pourraient être mieux compris, peut-être, as soft fabric, antimacassars, whose function in the interior space of the support group is to capture the evidence that a person was in the group and to soak up the traces of her social existence.
De quoi s'agit-il ? A cet endroit, une note de bas de page vient clarifier l'affaire (note 11, p. 313-314) :
Dans Paris capitale du XIXè siècle, un ensemble de matériaux que Walter Benjamin réunissait pour expliquer le lien entre l'essor du commerce moderne et la culture dans le Paris du XIXè et du début du XXe siècle, "l'intérieur" est un thème important. (...) Benjamin se réfère aux "traces" que les gens laissent dans ces espaces, traces qui restent à la surface des tissus d'ameublement. Envisagés sous cet angle, les nombreux coverings for furniture - antimacassars - , caractéristiques de cette époque, peuvent être vus comme des matériaux dont la fonction est de garder des empreintes autant que de protéger.
Suit une citation de Benjamin :
"L'intérieur est non seulement l'univers du particulier, mais aussi son étui. Habiter signifie laisser des traces. Dans l'intérieur l'accent est mis sur elles. On invente une foule de housses et de taies, de gaines et d'étuis où s'impriment les traces des plus quotidiens des objets d'usage. Les traces de l'habitant elles aussi s'impriment dans l'intérieur." (Paris capitale du XIXè siècle : lieux de passage, traduction Jean Lacoste, p. 41-42)

[La métaphore un peu baroque des tissus -- non, un peu romantique (s'il s'agit du Paris du XIXè) ? La métaphore empire -- comme les fauteuils -- court dans tout le chapitre :
* p. 143 : "Ainsi, par des petites choses, [dans les groupes de soutien] a fabric of relatedness is created for people over time." Ma première idée était de traduire par "les gens se rapprochent et tissent des liens au court du temps" mais la métaphore est peut-être un peu affaiblie ?
* juste avant la citation ci-dessus, à la page 147 aussi : "La présence continue du groupe de soutien, malgré la participation incertaine et fluctuante de ses membres, peut fonctionner as a softly furnished haven." Un "havre", donc, mais "soflty furnished" ? Pas un havre doux et bien meublé ; "soft furnishment", ce sont les tissus pour recouvrir les meubles.


Antimacassars, alors ? Je rajoute à la fin de la note 11 - après la citation de Benjamin, "On invente une foule de housses et de taies...", un commentaire :
["taies" traduit ici l'allemand Schoner, antimacassar en anglais [NB : je ne parle pas un mot d'allemand, mais j'ai retrouvé le passage dans le texte original, via google livres, parce que Schoner c'est vraiment la traduction de "antimacassar", ce qui montre que le terme est un équivalent plus exact que le terme de la traduction française] : un tissu posé sur les accoudoirs ou le dossier d'un fauteuil, là où repose la tête ou les bras. Dans le texte, quand l'auteure reprend ce mot pour décrire le rôle des termes du DSM, nous avons traduit par "têtière", qui a eu cette signification précise, même si les transformations sociologiques dans le design des fauteuils, ainsi que la multiplication d'autres significations techniques pour "têtière", en ont obscurci le sens en français.]
Mais la maison d'édition sera-t-elle d'accord ?
Etrangement, les termes pour décrire les intérieurs parisiens fonctionnent bien en anglais et en allemand, semble-t-il, mais pas en français. Google image le montre clairement. 
Cela valait bien une petite "note du traducteur". (NdT)]



(Image : Saisie d'écran sur google image pour "têtière", en bast, et "antimacassar", en haut.)

lundi 16 janvier 2012

"Life is a process of education" (Que nos nuits ne sont pas remplies de "rêves éducatifs")

(NdT : Une jolie phrase pour ma première note de blog. J'espère revenir dans mon blog sur ce thème : le développement personnel).

Traduction d'Emily Martin (Bipolar Expeditions, p. 140). L'auteure a parlé des expériences intérieures (des visions) qu'elle avait à une réunion ; quelqu'un la prend à part à la sortie :

Je ne voulais rien dire quand on était à l'intérieur, parce qu'ils pourraient  penser que j'ai fumé un truc bizarre, mais j'ai des visions, moi aussi. J'en ai eues toute ma vie. C'est à travers les rêves qu'il faut s'en occuper. Vous demandez à vos rêves ce qu'elles signifient, ils vous le diront. 
 C'est ici qu'arrive le passage en question :
Life is a process of education, and dreams and visions are teaching us. I have precognitive dreams, educational dreams, and others, too. Plus d'une fois, j'ai été averti à l'avance de quelque chose. Je travaille pour le rail, je suis ingénieur.... Je parie que plusieurs autres personnes dans la salle ont eu le même genre d'expériences, c'est juste qu'ils ne veulent pas en parler.Je pourrais perdre mon travail si quelqu'un savait.*

Comment traduire "Life is a process of education" ? Et "Educational dreams" ?



Pour "process of education", Linguee propose plusieurs phrases. C'est traduit par : "processus éducatif", "enseignement", "processus d'éducation", etc.
Mais il y a une différence de sens ; un ex. tiré de Linguee : "This will contribute to (...) makes the process of education empowering, participatory, transparent and accountable." (Pas facile non plus, "empowering" et "accountable". La traduction officielle est sur Linguee ou .)
La phrase de linguee porte sur l'éducation en tant que telle ; celle d'EM porte sur la vie.

C'est plutôt le début de l'expression qui pose pbl.
Pour "life is a process of", on trouve près de 64 millions d'occurrences sur google. 
(Mais très peu de choses sur linguee ; ce qui indique déjà qqch sur qui utilise cette expression.)
On trouve, dans les premiers résultats, "life is a process of becoming", "of creation", "of learning and relearning". Il y a un ancrage philosophique bien défini derrière. Si c'est un peu difficile à traduire en français, c'est (aussi) parce que c'est ancré dans une vision américaine du "self-help" (c'est-à-dire le "développement personnel" ; mais précisément c'est un concept ancré dans la culture américaine, difficile à traduire.)
Emily Martin développe d'ailleurs, dans le livre, une critique du "self-help" et de sa place dans la culture américaine.


(Illustration : saisie d'écran sur google image pour "educational dreams".)