[Edit le 7 janvier : ça y est ; nous avons un nom ! "Nous" avons même une existence légale, puisque le projet d'association s'est concrétisé. Et nous avons un joli site pour expliquer tout ça :
www.langshe.org]
C'est fini ! Bouclé, la traduction de Bipolar Expeditions. En fait, ça l'est depuis début juillet -- j'attendais que celles qui supervisent le projet rentrent de vacances, me fassent leurs dernières remarques, et que je boucle les petits détails (la bibliographie, notamment, qui a la taille d'un chapitre -- pas une partie de plaisir à mettre aux normes françaises).
Mais, aujourd'hui ou demain, tout est bouclé.
La question est déjà : quelle suite ?
* Pour Emily Martin, il y aura un grand colloque sur le handicap psychique et les neurosciences (enfin, quelque chose comme ça), en janvier 2013 ; Emily Martin en personne sera présente. C'est aussi le moment où le livre sortira. Edit : présentation du livre à 19h le mardi 8 janvier à la librairie le Comptoir des Presses d'Université (rue Claude Bernard), en présence de l'auteure ; workshop "new perspectives in anthropology on mental health", avec Emily Martin et plein de pointures, le 9 janvier à la MSSH, 236bis rue de Tolbiac.
* Pour la traduction : je prépare depuis longtemps un projet d'association, autour de la traduction des sciences humaines, quelque chose comme ça. Aujourd'hui, la situation est entièrement entre les mains de maisons d'édition (et, éventuellement, de quelques chercheurs), qui ont une volonté particulière d'ouverture ou de diffusion ; il y a un problème énorme de financement ; et on recrute ensuite des traducteurs comme on peut (des professionnels ou, comme moi, des amateurs.) Ceux qui font cela font un travail indispensable, mais je crois qu'il y a la place pour un fonctionnement un peu différent.
J'expliquerai dans une prochaine note la "philosophie" de l'association. Mais il y a une question beaucoup, beaucoup plus urgente, qui est : quel nom on pourrait prendre ?
Plusieurs débuts de remarques à ce propos :
* Il faudrait un nom qui fasse un peu intellectuel, à mon avis, pour ; par exemple un truc en référence à la tour de Babel, à Marco Polo ou à, euh... . Ou encore un acronyme qui évoquerait le mot "polyglotte", avec sa racine grecque. Plutôt qu'un truc qui fasse start up ou branché, genre "traduxos", "transLatX", ou "6-ens hum'N" ; ce n'est pas que j'ai quelque chose contre les suffixes en -xos ou les apostrophes dans les noms, mais c'est pour être dans le ton du genre de livres qu'on voudrait traduire. Hum... Je ne sais pas trop, en fait.
* J'aime bien les acronymes, si ça fait un mot un peu joli. Je pourrais garder NdT, mais je vois pas bien de quoi ça pourrait être l'acronyme... Surtout le N. (Le D : diffuser ? le T : Traduire ? Mais l'idée de traduction est déjà dans le terme NdT lui-même, donc on pourrait trouver autre chose pour le T).
* "Traduire" se dit en chinois fan yi ; pas non plus très facile pour un acronyme.
* Si je faisais un logiciel pour aider à traduire sur les sites de discussion en ligne, je l'appellerais "Ma langue au chat". Et si quelqu'un voulait ouvrir un salon de beauté qui fasse aussi atelier de discussions en langues étrangères (un bon concept, vu que les coiffeurs aiment tellement parler), je lui conseillerais "Gloss'Hair". Bon... Nous voilà bien avancé.
Au secours ! Si un des trois lecteurs attitrés de ce blog (ou quelqu'un d'autre) a une idée....
^_^
(NdT)
Autour de la traduction (langues, sciences sociales, Internet ...)
dimanche 2 septembre 2012
mardi 12 juin 2012
The Edge
Passage redoutable dans le dernier chapitre, qui est probablement le deuxième plus difficile de l'ensemble du livre : tout une section du chapitre intitulée "the Edge".
Le mot "edge" a en anglais une pluralité de significations qui se distribuent dans des mots très différents en français, donc je ne vois pas comment restituer au lecteur la totalité des occurrences du même mot qu'on trouve dans le texte original ; en outre, certains sens sont déjà difficiles à rendre par eux-mêmes.
Je fais juste ici la liste des occurrences du mot dans ce passage, pour y voir plus clair.
D'abord le titre de cette section, "The Edge" ;
Puis, dans le texte :
Et l'expression, dans la dernière phrase du passage et du chapitre (et du livre, à part la conclusion), "Living on the edge of death".
Il y a même une occurrence de "double-edged sword", mais je ne la compte pas.
(Il s'agit donc de citations d'Emily Martin, Bipolar expeditions, p. 263 à 268)
Parmi les suggestions qu'on m'a faites, ou les idées que j'ai eues (mais donc aucune ne convient pour la totalité des cas) : la ligne de crête, la brêche, le précipice ou le gouffre (au bord du gouffre etc), ... pour tout ce qui concerne "dancing over the edge", "to look over the edge" etc. (Mais aussi : le fil du rasoir, sur le fil, en équilibre... pour "dancing over the edge").
Pour "he had lost his edge", qui est le problème central, quelque chose comme "il avait perdu son mordant", "son tranchant", "sa différence", ... ?
Enfin, parmi les possibilités que j'ai pour restituer la totalité des sens : 1. faire une note du traducteur (mais je ne vois pas bien comment je formulerais ça) ; 2. mettre à chaque fois le mot ou l'expression en anglais à côté de la traduction (mais mon éditrice n'aime pas ça, et c'est vrai que c'est un peu lourd) ; 3. demander directement à Emily Martin à quel point elle tient à ce que l'on restitue en français cette multiplicité de sens sous une même antienne (pour l'instant je crois qu'il faut que je fasse autrement, mais peut-être je pourrai lui poser quelques questions en bloc quand tout sera fini ?)
(Illustration : 1. capture d'image google "on the edge", visions assez poétiques du vide ; 2. capture d'image google " 'lost his edge' OR 'lost her edge' " , qui renvoie à l'univers du sport et de la compétition ; je remarque en passant que, malgré mes efforts pour demander à la fois le féminin et le masculin, google ne me donne (en page 1 du moins) que des exemples de "lost his edge", quel que soit l'ordre dans lequel je place les deux expressions. Ce qui va très bien avec le propos d'Emily Martin : avec la compétition sur le marché, avec la manie de la maniaco-dépression et avec "the edge", la petite différence en plus que cela vous donne, nous sommes en plein dans un monde masculin).
Le mot "edge" a en anglais une pluralité de significations qui se distribuent dans des mots très différents en français, donc je ne vois pas comment restituer au lecteur la totalité des occurrences du même mot qu'on trouve dans le texte original ; en outre, certains sens sont déjà difficiles à rendre par eux-mêmes.
Je fais juste ici la liste des occurrences du mot dans ce passage, pour y voir plus clair.
D'abord le titre de cette section, "The Edge" ;
Puis, dans le texte :
One marketing campaign for a manic depression drug, a form of sustained-release lithium, placed depression over an "edge." "Dancing on the Edge: An Intimate Look at a Bipolar Life," was a display from the 2000 APA exhibit for Scios.
Upon treatment, [Tim, un jeune homme brillant qui souffre de maniaco-dépression] felt the "tedious grasp of normalcy" and experienced agitation and anger that he had lost his edge (...)
"Dancing on the Edge" is gripping because it brings together the dancer's lively beauty with his position on the edge of death.
For the manic male entrepreneur or CEO, the edge might lie near the specter of terrible loss.
Although the mania of manic depression and the mania of manic markets are certainly not the same thing, they do both operate on an edge. We might think of the "edge" as a "break" in the smooth public presentation of manic depression
In an ethereal but numbed state, a person is less likely to look over the edge (...)
There are some signs that "the edge" may now be poised above a deeper abyss.
The person with a manic leadership style and the person with manic depression both look over an edge into violence (...)
Et l'expression, dans la dernière phrase du passage et du chapitre (et du livre, à part la conclusion), "Living on the edge of death".
Il y a même une occurrence de "double-edged sword", mais je ne la compte pas.
(Il s'agit donc de citations d'Emily Martin, Bipolar expeditions, p. 263 à 268)
Parmi les suggestions qu'on m'a faites, ou les idées que j'ai eues (mais donc aucune ne convient pour la totalité des cas) : la ligne de crête, la brêche, le précipice ou le gouffre (au bord du gouffre etc), ... pour tout ce qui concerne "dancing over the edge", "to look over the edge" etc. (Mais aussi : le fil du rasoir, sur le fil, en équilibre... pour "dancing over the edge").
Pour "he had lost his edge", qui est le problème central, quelque chose comme "il avait perdu son mordant", "son tranchant", "sa différence", ... ?
Enfin, parmi les possibilités que j'ai pour restituer la totalité des sens : 1. faire une note du traducteur (mais je ne vois pas bien comment je formulerais ça) ; 2. mettre à chaque fois le mot ou l'expression en anglais à côté de la traduction (mais mon éditrice n'aime pas ça, et c'est vrai que c'est un peu lourd) ; 3. demander directement à Emily Martin à quel point elle tient à ce que l'on restitue en français cette multiplicité de sens sous une même antienne (pour l'instant je crois qu'il faut que je fasse autrement, mais peut-être je pourrai lui poser quelques questions en bloc quand tout sera fini ?)
(Illustration : 1. capture d'image google "on the edge", visions assez poétiques du vide ; 2. capture d'image google " 'lost his edge' OR 'lost her edge' " , qui renvoie à l'univers du sport et de la compétition ; je remarque en passant que, malgré mes efforts pour demander à la fois le féminin et le masculin, google ne me donne (en page 1 du moins) que des exemples de "lost his edge", quel que soit l'ordre dans lequel je place les deux expressions. Ce qui va très bien avec le propos d'Emily Martin : avec la compétition sur le marché, avec la manie de la maniaco-dépression et avec "the edge", la petite différence en plus que cela vous donne, nous sommes en plein dans un monde masculin).
samedi 2 juin 2012
Fear "as a wedge" (qu'on ne soulève pas "un voile" avec un "levier")
Encore une note anecdotique, mais c'est un truc qui m'a cassé les pieds aujourd'hui... Plutôt, c'est tout le passage que je traduis qui me casse les pieds. A certains moments, l'écriture devient beaucoup plus dense, ou beaucoup plus obscure, ou plus littéraire, ou plus contournée qu'à d'autres, et soudain on n'avance plus.
(Par ex., dans la même page, il y avait ça à traduire :
Mais voici le passage que je voulais discuter : il s'agit simplement d'une métaphore difficile à traduire en français (toujours à propos de la perception variable des marchés) :
Mais, à la réflexion, on ne soulève pas un voile avec un levier non plus.
(J'attends d'avoir au moins une suggestion en commentaire pour proposer ma traduction provisoire, pour ne pas influencer mon éventuel lecteur).
(Par ex., dans la même page, il y avait ça à traduire :
This suggests that today Fortuna -symbol of eighteenth-century market instability- might better be called "Fortunus": powerful masculine figures enact the attributes of the market rather than keeping the market separate and under firm control.C'est moi ou la construction "enact... rather than keeping" est bizarre ? En tout cas, ça donne le thème du moment : la perception du marché, ou des marchés, comme féminins ou masculins selon les époques - créatures capricieuses ou lieu de luttes entre puissantes figures masculines.)
Mais voici le passage que je voulais discuter : il s'agit simplement d'une métaphore difficile à traduire en français (toujours à propos de la perception variable des marchés) :
Fear, perhaps from feeling the consequences of markets unleashed from control, accompanies these shifting frameworks. Perhaps fear could serve as a wedge that would allow us to see things we normally repress."A wedge", c'est apparemment un "coin" (comme on en utilise pour faire éclater le bois ; pour ce que je sais de la manière dont on fait éclater le bois...) Comment rendre "a wedge that would allow us to see things we normally repress" ? J'ai pensé à "pourrait servir comme un levier" pour remplacer cette histoire de coin qui sonne un peu mal en français ; et à "lever un coin du voile sur ce que nous réprimons d'habitude" pour la suite ; Non pas "voir", comme le suggèrait la phrase anglaise, parce qu'il me semblait qu'un levier pouvait plus servir à "soulever" qu'à "voir".
Mais, à la réflexion, on ne soulève pas un voile avec un levier non plus.
(J'attends d'avoir au moins une suggestion en commentaire pour proposer ma traduction provisoire, pour ne pas influencer mon éventuel lecteur).
lundi 21 mai 2012
Flat affect
Comment traduire "flat affect", un symptôme de la schizophrénie ? La question m'avait déjà intéressé quand l'expression est apparue au chapitre 1. A l'époque, j'avais fait un exposé, dans un séminaire sur la traduction, sur la question de qui a la compétence pour traduire, où je m'étais appuyé sur cette expression pour souligner que, même au sein de la communauté des psychiatres, il n'y a pas de traduction stable de tous les termes techniques. (Il est vrai que c'est un cas relativement exceptionnel, pour ce que j'ai pu voir). Je me référais à la bible de la psychiatrie, le livre fascinant (et controversé) qui a façonné la psychiatrie (et sans doute l'esprit humain) dans la deuxième moitié du XXè siècle, le "DSM IV-tr" (Diagnostic and statistical manual of mental disorders).
Dans la version française, le terme n'est en effet jamais traduit deux fois pareil : "affect abrasé" (p.366), "émoussement affect" (!) (p. 355), "abrasion de l'affect" (p. 369), "émoussement affectif" (p.41).
Le texte d'Emily Martin (chapitre 1) :
What psychiatrists call "flat affect"-lacking emotion-in schizophrenia actually turns out to be a complex state filled with strong feeling. Despite appearing outwardly emotionally flat, when asked, people with schizophrenia report strong inner feelings. (p. 51)
Ce que les psychiatres appellent « émoussement affectif » – l'absence d'émotion – dans la schizophrénie s'avère en fait être un état complexe rempli de sentiments forts. Même si, de l'extérieur, leurs émotions peuvent paraître « émoussées », les personnes atteintes de schizophrénie, quand on leur pose la question, font part de forts sentiments intérieurs.
Ce qu'elle reprend quelques lignes plus loin :
Contrary to this common perception, accounts of patients attest that "flat affect" does not entail lack of feeling.60 Instead of emotion, their interior landscape is often filled with free-floating tension, fear, and vague anxiety. (p. 51).
Au contraire, les descriptions données par les patients attestent qu’« émoussement affectif » ne signifie pas absence de sentiments. Au lieu d'émotions, leur paysage intérieur est souvent rempli de tensions flottantes, d'une peur et d'une angoisse diffuses.*
Au chapitre 8, que je viens de finir, les choses se compliquent, puisque l'auteure en tire une sorte de métaphore de notre époque :
Yet, as I mentioned in the introduction, people in the late twentieth and twenty-first centuries are also profoundly anxious and hence characteristically preoccupied with emotionally flat conditions - detachment and alienation. The flattening and deadening of the emotions is a pervasive theme in art, architecture, film, and daily life.' In other words, at present, emotion is both flattened and incited at the same time. (p. 197)Ce que j'ai traduit par :
Pourtant, comme je l’ai mentionné en introduction, une anxiété profonde caractérise la fin du xxe et le début du xxie siècle, marqués par la peur d’une érosion générale des émotions – dans le détachement ou l’aliénation. On retrouve partout ce thème d’une érosion et d’une anesthésie des sentiments, dans l’art, dans l’architecture, au cinéma ou dans la vie quotidienne.Ce "flat" est bien sûr un écho de celui du chapitre 1, et elle revient sur la schizophrénie qq pages plus loin :
It follows logically that the socially engaged character of manic depression, its "evenly balanced swimming in comfort for one's self and the world" or its eliciting of a high "empathic index," is linked to its emotionality. In contrast, the socially removed character of schizophrenia would seem to be logically linked to its emotional flatness. (p. 200)
Il s’ensuit logiquement que l’engagement dans les rapports sociaux, la « sensation permanente de bien-être qu’ils puisent en eux-mêmes et dans le monde » ou la capacité à soulever un « indice d’empathie » élevé caractérisent la maniaco-dépression et sont liés à l’émotivité qui marque cette affection. À l’inverse, il peut sembler logique de lier le caractère socialement en retrait de la schizophrénie à son absence d’émotions.(A la limite, je pourrais mettre ici, entre guillemets, "abrasement émotionnel", mais pas utiliser "érosion" - qui n'est pas du tout dans le DSM et qui n'est pas joli non plus ici.)
Il me semble que mes traductions ici passent bien en français, mais on perd le lien entre les différentes occurrences de "flat". Je vois deux idées : soit mettre à chaque fois l'anglais entre parenthèse ; soit mettre à la dernière occurrence une note du traducteur, et regrouper dedans les différentes traductions que j'ai proposé au fil de l'ouvrage, en faisant valoir qu'il n'y a pas vraiment de traduction officielle qui fonctionne bien en français. (C'est un des termes que je dois vérifier cependant en demandant à un psychiatre ; il est possible que les choses aient évolué depuis la traduction du DSM IV-tr).
* (Note : Emily Martin se réfère ici au travail de Louis Sass ; Louis Sass s'appuie lui-même sur le témoignage passionnant, que j'ai découvert à cette occasion, de "Renée", une schizophrène, même si le livre est publié par sa psychanalyste. Marguerite Sechehaye, Journal d'une schizophrène, que je recommande vivement.)
vendredi 18 mai 2012
Wired
(NdT : une autre mini note, sur un mini problème. C'est juste trop dur pour moi de prendre le temps de mettre au propre les réflexions un peu plus élaborées...)
Une difficulté inhabituelle : un problème de langue (on ne dit pas de cette manière en français) se superpose à un problème de science, de biologie pour être exact. Que veut dire exactement le psychiatre qu'Emily Martin cite dans le passage suivant, par "wired" ?
Bon, cette fois je donne ma réponse tout de suite, mais vous avez le droit de ne pas être d'accord (et de le dire !)
générale d''un de mes deux lecteurs, je remets des images ! Une capture d'image, en recherchant sur google "wiring of the brain" :
Et une de "organisation du système nerveux central". A part que c'est un peu moins psychédélique dans la version française, il y a quand même un air de famille, non ?
[Edit : après les protestations que j'ai reçues, je teste quelque chose d'autre -- "biologiquement ancrée dans les connexions du cerveau" (?) et "l'organisation du cerveau", respectivement.. Capture d'écran sur google image ci-dessous pour "connexions du cerveau". Cela semble mieux coller ; après, au niveau de la langue, ça ne me semble pas génial mais ça passe, non ?]
Une difficulté inhabituelle : un problème de langue (on ne dit pas de cette manière en français) se superpose à un problème de science, de biologie pour être exact. Que veut dire exactement le psychiatre qu'Emily Martin cite dans le passage suivant, par "wired" ?
In his American Mania: When More Is Not Enough, Peter Whybrow sees a darker side of American mania. He thinks the biologically wired drive for pleasure and success that fuels mania makes people neglect more satisfying relationships with other people. [Bipolar Expeditions, p. 228]Elle remet ça p. 229, où elle compare l'approche de Whybrow à celle de deux autres psychiatres :
These three books (...) see exuberance, hypomania, and mania as states that existed in the same form and manifested the same behaviors in earlier historical periods as they do today. They make this claim plausible by attaching exuberance, hypomania, and mania to material processes that would be unchanged over time: the forces of selection (Jamison), the operation of genes (Gartner), or the wiring of the brain (Whybrow)....
Bon, cette fois je donne ma réponse tout de suite, mais vous avez le droit de ne pas être d'accord (et de le dire !)
Dans American Mania: When More Is Not Enough, Peter Whybrow voit un côté plus sombre à la manie américaine. Il pense que la poursuite du plaisir et du succès qui alimente la manie, biologiquement ancrée dans le système nerveux central, pousse les gens à négliger la recherche d'une plus grande satisfaction dans les relations avec les autres
Ces trois livres voient (...) l'exubérance, hypomanie et la manie comme des états qui existaient sous la même forme et se manifestaient à travers les mêmes comportements aujourd'hui et dans des périodes historiques antérieures. Ils rendent cette affirmation plausible en liant l'exubérance, l'hypomanie et la manie à des processus matériels qui resteraient inchangés au fil du temps: les forces de la sélection (Jamison), le fonctionnement des gènes (Gartner), ou l'organisation du système nerveux central (Whybrow).Et pour faire plaisir, à la demande
Et une de "organisation du système nerveux central". A part que c'est un peu moins psychédélique dans la version française, il y a quand même un air de famille, non ?
[Edit : après les protestations que j'ai reçues, je teste quelque chose d'autre -- "biologiquement ancrée dans les connexions du cerveau" (?) et "l'organisation du cerveau", respectivement.. Capture d'écran sur google image ci-dessous pour "connexions du cerveau". Cela semble mieux coller ; après, au niveau de la langue, ça ne me semble pas génial mais ça passe, non ?]
mercredi 9 mai 2012
Pourquoi "Google traduction" est (quand même) utile
(NdT : une amie m'a dit que mes posts étaient trop longs. J'en ai plus à dire au sujet de celui-ci, mais j'en garde donc une partie sous le coude pour un futur post... ou pas, parce qu'il y des tonnes d'autres choses dont je voudrais parler aussi. Toujours cette frustration de ne pas avoir le temps de rédiger le quart des trucs que je voudrais partager sur ce blog).
Google : un nom qui fait à peu près consensus dans la détestation, dans le monde universitaire français. En particulier quand il s'agit de la traduction ; j'ai vu un séminaire sur la traduction en sciences sociales où le type qui présentait utilisait "google" à peu près comme synonyme du "Mal incarné", sans sentir le besoin d'expliquer le moins du monde pourquoi.
Barbara Cassin, qui a retiré un immense prestige du Vocabulaire européen des philosophies qu'elle a dirigé (qui est un ouvrage sur la traduction des notions philosophiques), a même rédigé un petit livre contre Google.
Bref, tout ça pour dire que j'utilise très abondamment Google dans mon travail, en particulier dans mon travail de traduction, comme on peut le voir dans presque tous les posts de ce blog. Pire : j'utilise (aussi) google trad. En gros, mon expérience c'est que, bien sûr, les traductions proposées sont strictement n'importe quoi, mais néanmoins il y a plein de mots qu'on n'a pas besoin de re-taper. C'est moins fatigant et plus rapide de reprendre, même de A à Z, la traduction que propose google trad que d'écrire tout.
J'espère que je pourrais revenir là-dessus. (et aussi sur les problèmes que j'ai, moi aussi, avec Google, mais qui sont plutôt liés à Google books, qui est à la fois formidable et très décevant).
Aujourd'hui, je voudrais juste parler d'un truc secondaire, mais qui existe : des points précis de traduction où google trad (ci-dessous GT) est très performant -- des difficultés qui représentent éventuellement des pièges pour l'humain mais qu'il déjoue tout de suite.
(Note : à une période, je commençais par enregistrer une traduction "spontanée" que je proposais, puis je reprenais par écrit en corrigeant la version de GT, avant de reprendre le texte plusieurs fois. Plusieurs des ex. que je note ci-dessous datent de cette époque, où je pouvais comparer ma trad. "spontanée" et celle de GT. Je saute cette étape à présent.)
- Robin : j'avais été voir le dictionnaire qui me donnait "rouge-gorge" ; du coup, surprise quand je vois que Google Trad a traduit par "merle"... Après vérification, c'est un américanisme (donc la bonne traduction ici).
- "The mood-steadying effects" (of lithium) : j'avais pensé à "renforcement de l'humeur", ce qui ne voulait rien dire ; GT a proposé "les effets de l'humeur stabilisateur de lithium ", ce qui ne veut rien dire non plus mais me donne néanmoins le bon terme : stabiliser, stabilisateur, stabilisation.
- Klonopin (un médicament) qui a été traduit par "Rivotril" (le nom français ; mais des fois google laisse Klonopin...) En fait, maintenant je vais voir systématiquement pour chaque médicament, qui ont des noms différents en français environ une fois sur quatre.
- p. 193, "there seems to be one universal set of mood categories" : "De plus en plus, il semble y avoir un seul ensemble universel de catégories d'humeur..." (GT a ajouté "seul", à raison, c'était tout à fait le sens dans le contexte, mais je ne l'avais pas fait spontanément).
- Disease-free periods : j'ai traduit spontanément par une périphrase ("périodes où les patients n'étaient pas malades"), mais il y a un terme simple en français, que Google m'a soufflé (je vous laisse trouver lequel).
- A blank chart : un tableau blanc ? (Je n'y ai pas vu l'ombre d'un problème). Mais il s'agit de "tableaux de l'humeur" que tiennent les patients pas encore remplis -- un tableau vierge, donc, comme me le souffle GT à raison.
- (Walking through my neighborhood) "in lower Manhattan", que google a eu la bonne idée de traduire par "... au sud de Manhattan" (je ne sais pas du tout comment j'aurais traduit sinon).
J'ai d'autres exemples plus complexes... pour une autre fois, peut-être.
lundi 30 avril 2012
Immédiateté, et évocation indirecte
(NdT. C'est un peu anecdotique, mais quelque chose dans la traduction de cette phrase m'a semblé intéressant ; en tout cas ça m'a fait réfléchir.)
Emily Martin, p. 214 : elle vient de citer Les Mots pour le dire, roman autobiographique d'un auteur français, Marie Cardinal ; ça a l'air bien, je le mets sur la liste des livres que j'aimerais lire si j'ai l'occasion ou le temps. Il s'agit du moment où l'auteure bascule pour la première fois dans la folie, en écoutant un morceau d'Amstrong. Puis Emily Martin cite le commentaire sur ce passage d'un autre écrivain, Toni Morrison :
Toni Morrison writes that she remembers smiling when reading this passage, in part because Cardinal's recollection of the music had such immediacy, and "partly because of what leaped into my mind : what on earth was Louie* playing that night? "
Faut-il traduire "Toni Morrison writes that she remembers smiling..." par "Toni Morrison écrit qu'elle se souvient d'avoir sourit..." ?
Comme ça me paraît lourd, j'ai d'abord traduit par "Toni Morrison se souvient d'avoir souri en lisant..." Il y avait juste quelque chose qui me gênait diffusément.
Par ailleurs (mais il y a un lien, comme on va le voir), comment traduire "immediacy" ?
Or, voici le passage en question de Toni Morrison, qui est traduit en français (curieusement, dans l'édition française de 1993 que je consulte, le titre est en anglais sur la couverture, Playing in the dark, mais est ensuite traduit à l'intérieur du livre, dès la page 1 : Jouer dans le noir), p. 9 :
Je me souviens d'avoir souri en lisant ces lignes, en partie par admiration pour un souvenir si net, si présent, de la musique, en partie à cause de ce qui a surgi dans mon esprit : que diable Louis jouait-il donc ce soir-là ?"(Ce qui est bizarre dans ma traduction ci-dessus devient plus clair je crois : le passage du discours direct -- "Je me souviens d'avoir..." -- au discours indirect : "Elle écrit qu'elle se souvient d'avoir..."demande en réalité une plus grande transformation de l'original. Du moins en français ; j'ignore comment c'est ressenti en anglais).
Encore une fois, il me manque un peu les catégories grammaticales pour le dire. Mais il me semble que le problème vient de ce que, dans la phrase de Morrison, l'expression "je me souviens" joue un rôle équivalent à celui du verbe introductif pour passer au discours indirect : "Toni Morrison écrit que..." ; c'est-à-dire qu'il s'agit d'un commentaire à un niveau supérieur qui énonce un fait (un souvenir). Je crois qu'on peut juste dire, sans changer aucunement le sens : "Toni Morrison écrit qu'elle avait souri en lisant..."
De manière plus secondaire, pour "immediacy", le problème est pour ainsi dire inversé. Il me semble qu'on peut dire que la description de Morrison -- "un souvenir si net, si présent" -- est du discours direct ; que la réécriture par E.Martin, qui résume ça avec une notion plus abstraite, "immediacy", est totalement justifiée pour du discours indirect. Mais comme, en français, "immédiateté" ne passe pas, j'ai envie d'utiliser une forme intermédiaire :
1) comme Martin, utiliser des substantifs qui collent mieux avec le discours indirect, mais
2) en utiliser deux (et en cela, je m'éloigne du texte que je traduis mais je ne trahirais pas l'original de Morrison) pour restituer une idée qu'un seul mot saisi mal en français. Cela donnerait :
Toni Morrison écrit qu'elle avait sourit en lisant ce passage, en partie à cause de l'évocation vivante et fraîche par Cardinal de la musique, et "en partie à cause de ce qui a surgi dans [son] esprit : que diable Louis jouait-il ce soir-là ?"
* Addendum : pourquoi "Louie" dans la version anglaise de la citation de Morrison ? A cause de l'influence... du français. Voilà ce que dit Wikipedia : "Louis Daniel Armstrong (prononcer « Louis » à la française, que lui-même écrivait Louie par hypercorrection)..."
Inscription à :
Articles (Atom)